Les pays qui tentent de libéraliser le rail font marche arrière

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Isabelle Durant: «Les pays qui tentent de libéraliser le rail font marche arrière»

Par Eric Renette

L’ancienne ministre et députée européenne reçoit le prix européen du rail. Elle offre les 10.000 euros pour faciliter les visites des jeunes au TrainWorld.

Ancienne ministre de la mobilité de 1999 à 2003 («  pour une fois, c’était ministre de la mobilité et pas ministre des transports  » précise-t-elle aujourd’hui), puis vice-présidente du parlement européen, Isabelle Durant (Écolo) reçoit ce mardi le prix européen du rail (European Railway Award), dans la catégorie politique, décerné par l’association des opérateurs de chemins de fer (l’UNIFE-Union des Industries ferroviaires européennes et la CER-Community of European Railway). Après les Magritte, les Victoires et autres Grammy, c’est de saison. Mais pas tout à fait du même tonneau. La Bruxelloise, première femme honorée de ce prix très ferroviaire, succède à ce prix à Karel Vinck (2012), à l’ancien commissaire européen Jacques Barrot (2014), à l’espagnol Felipe Gonzales (2010).

Une récompense corporatrice ?

Je crois que ça veut souligner mon travail, en Belgique comme au niveau européen et le fait que, à tous niveaux, j’ai toujours voulu favoriser les idées de modal shift (transfert modal d’un mode de transport vers un autre, principalement entre transports publics) et la volonté de développer le train, que ce soit pour les passagers ou les marchandises. Pour moi, le train reste un merveilleux outil de modernité. Regardez où se développent les trains et les trams, dans les villes modernes.

Étonnant qu’il vienne des patrons de compagnies ferroviaires eux-mêmes, non ? Votre profil Écolo n’est pas tout à fait le leur.

J’ai toujours entretenu de bonnes relations avec eux et je crois qu’ils ont apprécié que je m’oppose à cette grande volonté européenne de l’accès à tous de tous les réseaux ferrés qui serait, selon l’Europe, la solution pour tout le monde, en oubliant qu’il y a des petits et des grands pays, des réalités très différentes… Ou à cette volonté simpliste de séparation forcée, de muraille de Chine, qu’il faudrait ériger entre les gestionnaires de réseaux ferrés et les opérateurs. Cette idée qui mettrait d’un côté une sorte de nouvelle aristocratie du rail, ceux qui construisent, qui coulent du béton, qui gèrent l’infrastructure, et de l’autre des machines et des hommes qui ne font que les utiliser. Une réflexion qui suit une logique d’ingénieurs qui aiment les ponts et le béton et de l’autre des opérateurs qui doivent offrir un service aux gens.

Vous ne partagez pas non plus la volonté européenne de libéraliser le rail.

Je m’oppose depuis le début à cette croyance aveugle que la libéralisation du rail va tout arranger, faire pression sur les prix d’un côté et veiller à améliorer les services de l’autre. On voit bien que les rares pays qui ont tenté l’expérience font plus ou moins marche arrière. Ou la libéralisation du transport des marchandises, qui est effective depuis des années, par exemple, ne donne pas d’effet mirobolant. Au contraire, le transport des marchandises par train, en dehors de certains pics nationaux, perd des parts de marchés. Mais la Commission, envers et contre tout, continue à le penser. Et on voit quoi aujourd’hui ? Que ceux qui ont éventuellement les moyens de jouer les libéralisations au niveau européen, ce sont des gros joueurs qu’on retrouve, comme par hasard, également actifs et soutient de la libéralisation du gaz, de l’eau…

Justement, l’Europe doit toujours achever ce qu’on appelle le quatrième paquet ferroviaire qui doit encadrer cette libéralisation du rail.

Les discussions sur le quatrième paquet sont complètement bloquées. Le conseil des ministres des transports avait adopté des mesures sur la gouvernance (séparation totale des opérateurs et des gestionnaires de réseau), la libéralisation totale du rail via l’obligation de tout mettre sous appels d’offres et, enfin, certaines mesures techniques. Le Parlement les avait retoqués en autorisant des relations entre opérateurs et gestionnaires, en relativisant les conditions de libéralisation. Depuis, on est entré dans ce que l’Europe appelle un tri-logue entre parlement, conseil et commission européens pour tenter d’harmoniser les points de vue mais ça ne marche pas. Moi, je prône pour qu’aux moins, tout le monde s’accorde pour faire passer les mesures techniques qui sont soutenues par tous : renforcement de l’agence européenne du rail, harmonisation des homologations du matériel… Avançons sur le paquet technique et voyons séparément pour le reste, laissons mûrir.

Qu’allez-vous faire de votre prix ?

Il correspond à un chèque de 10.000 euros que je vais céder au Trainworld pour favoriser les actions de sensibilisation des plus jeunes visiteurs, notamment pour qu’ils saisissent eux aussi la modernité pour aujourd’hui et pour demain que représente le train.

Le discours que j’ai prononcé lors de la remise de l’European Railway Award

Thank you for having me here tonight and for having taken good note of my dedication to sustainable mobility.

A clear political vision is the strict minimum for any forward-looking rail system. Recent events in Belgium have sufficiently demonstrated that fact.

But, a pinch of dream is also an important ingredient for the global recipe of mobility and in particular for railway systems, and it is certainly not Francois Schuiten, the scenographer of Train World, who will prove me wrong.

I’ll take this perfect opportunity of being in front of such a qualified and specialized audience to share with you this pinch of dream that inspires my political vision when it comes to railways:

For, indeed, I have a dream:

A dream of once again conquering railways, looking back proudly to their glorious past and stopping to abandon the countryside to the almighty car,

A dream of railways whose modernity is not only based on high-speed and technological advances but also on a new way of moving and living for the young and new generations,

A dream where public authorities and mobility policy-makers realize that the digital revolution, which is deeply transforming our society, doesn’t mean less railway in and between our future green cities and villages, but on the contrary means intensifying the development and the use of trains in order to meet the targets formally adopted at the COP21,

A dream of a railway system that is as easy to use, as turning the key in your car or jumping on your bike,

A dream where we would pay a global fee for our green mobility, being bus, train or bike, a fee which would replace the current company car regimes.

As you can see, I sleep well.

I believe that the railway system needs three main things for my dream to come true!

And no! I’m not talking only about money, money and money, nor about rails, stations and trains.

Firstly, the railway system has to be conceived again as the spine of the transport system, where cars and planes come and complete the system and not the other way round, as we have done in the last 50 years or so. Every day that passes tells us that a transport system that revolves around private cars is no longer viable and the ones amongst us who were blocked at the Louise Roundabout these past few weeks will not contradict me. The “car-centric” approach of the past century has had a huge impact on air quality, noise, health, landscape in our cities and countryside. It’s time to turn this page!

Secondly, a system that is not only based on competition between the different railway actors but a system where real competition is with the plane and the car.

Thirdly, trains and stations which are not only a commuting system but that also offer access to proximity services, conviviality and – why not? – culture, as it is done in some of our stations today. This approach will bring people back to stations and into trains.

Even if I am no longer in charge of railway systems, you can be sure that my vision will not change and what ever the future brings me, be sure that I will always keep passion and determination in order to help and develop a better future for rail, through alliances between the different train supporters and beyond.

Dear Mr Lockman and Mr Citroen, after having heard my dream and my vision of what sustainable mobility should mean, you will not be surprised that I have decided to offer this award’s prize money to the awareness raising projects of Train World in Schaerbeek. A project that I am sure Mr Schuiten will be happy to present in a few moments.

Finally, trains can also be romantic!!

This is why for Valentine’s day we offered chocolate to all the commuters wishing them a happy Saint Valen-train.