Le parcours du commerçant

Parcours du commerçant

Les soldes sont tombées tôt cette année. Depuis les premiers jours du mois, à coup de pourcentages de rabais, les commerçants tentent de vider leurs placards tandis que les consommateurs sont appelés à remplir les leurs. Réglé par la loi, ce rituel bisannuel vise avant tout à permettre l’écoulement accéléré et à prix réduit des stocks pour faciliter l’achat des suivants. Juste dans la logique consommer, toujours consommer. On est loin de l’économie circulaire qui devient le nouveau « green slogan ».

Dans les faits, ces stratégies commerciales de début d’année sont non seulement confrontées à des problèmes conjoncturels (comme la gestion de la menace terroriste de fin d’année) ou plus structurels comme les bourgeons de l’hiver qui n’incitent pas à acheter des bottes fourrées, la mise en œuvre – en dépit du commerce – du piétonnier bruxellois ou les formes nouvelles telles le commerce en ligne, low-cost, les ventes privées, ou plus récemment l’émergence de pratiques telles la réparation d’objet et les plate-formes d’échange de biens et de services. Il n’y a donc plus guère que les vendeuses et vendeurs des grandes enseignes qui sont victimes de la recherche frénétique de la plus ou moins bonne affaire.

Qui sont aujourd’hui ces commerçants non franchisés, ceux qui osent, lancent ou développent leur propre projet ? Ceux et celles qui mettent toute leur énergie dans leur projet, leur idée voire leur idéal, seuls ou à plusieurs pour mieux concilier leur activité avec leur vie personnelle. Celles et ceux qui participent non seulement à l’économie mais pour certains d’entre eux à la transition économique et écologique de nos villes et régions. Ceux et celles qui sont de vrais contributeurs à la qualité de la vie quotidienne, des échanges, de la transformation et de la convivialité au cœur de nos villes.

Ils ne sont jamais au bout du « parcours du commerçant », véritable parcours d’obstacles, émaillé d’une quantité de formalités administratives et réglementaires, mais aussi de délais d’ordre compréhensibles du point de vue des rythmes d’une administration communale ou régionale, mais tout simplement incompatibles avec ceux d’un projet qui démarre. S’il faut saluer l’accompagnement de qualité de ces nouveaux promoteurs par les équipes d’Atrium à Bruxelles pour concevoir le projet et le localiser, la multiplication des interlocuteurs et des services communaux impliqués au moment de la mise en route du projet font souvent l’effet d’une douche froide.

Et quand on a l’outrecuidance de développer ce dont une ville, une commune, quartier du 21ème siècle a besoin comme de pain, à savoir un commerce différencié, qui mêle Horeca, vente de produits et projets socio-culturels, ou qui prend des formes telles qu’une coopérative de consommateurs-citoyens-coopérateurs, cela devient vite le casse-tête. On n’entre dans aucune case, aucune catégorie et on est in fine soumis aux exigences additionnées de chacune d’elle. Servir un potage préparé sur place est une péché mortel pour l’AFSCA, vendre quelques boissons quand on est une asbl en est un pour le service des lois sociales et de l’environnement. Le résultat c’est qu’avec la complicité des autorités communales qui en veulent, on « chipote », on dit qu’on ne fait que « réchauffer un met » ! On est juste toléré quand on est dans des modèles mixtes avec le danger de voir un jour cette tolérance se muer en interdiction. Cette insécurité juridique et l’épée de Damocles financière qu’elle fait peser n’aide pas une activité à se déployer.

Il est temps non seulement de rationaliser les outils régionaux comme s’en vante nos ministres régionaux mais aussi de les transformer et les mettre au service de la vraie innovation économique et sociale. Pour cela, il faut sortir des catégories, permettre les financements nouveaux entre autres via crowdfunding ou la mobilisation de l’épargne locale, mobiliser les outils régionaux aussi pour soutenir les formes coopératives. Chaque Bruxellois, de Woluwé à Molenbeek, doit pouvoir démontrer de sa capacité à entreprendre en jouant de sa propre créativité. Il y a à cela quelques conditions : décloisonner (nos esprits et nos territoires), jouer la transdisciplinarité, soutenir la mixité commerciale, rester en alerte, s’inscrire et initier de nouveaux réseaux, utiliser l’énorme potentiel des réseaux sociaux pour les pour les promouvoir. Auditer le potentiel d’innovation des PME ou des commerces, de leurs nouveaux marchés, produits ou clients les aiderait à se mettre à l’abri de l’essoufflement ou de l’assèchement, dans un monde si concurrentiel et mouvant. Car si soutenir le démarrage d’une activité est nécessaire, il l’est tout autant de l’aider à croître.

Il faudra aussi intégrer la question de la santé et de l’isolement des commerçants et singulièrement de ceux qui gèrent seul leur commerce. Comment imaginer sinon que ces femmes et ces hommes qui consacrent chaque seconde de leur journée à leur métier le délaissent « pour perdre leur temps ». Une fois encore, les réseaux sociaux pourraient être utiles. Ils ont l’intérêt de la flexibilité, de l’accès direct de l’information, de la mise en réseaux et donc du partage et de la mutualisation d’expériences.

Les communes ne sont pas en reste : pourquoi ne pas transformer les échevinats du commerce en compétence économique et transversale, renouveler le concept d’association de commerçants, composées le plus souvent d’hommes, bien installés dans leur commerce, dont les plus ringards se limitent à la braderie annuelle et les plus dynamiques s’essoufflent après les heures d’ouverture à faire le lien entre tous dans un quartier donné.

Last but not least, c’est aussi la fluidification des parcours individuels qu’il faut soutenir en repensant complètement les statuts sociaux encore si cloisonnés. Allons résolument vers le statut de « flexi-entrepreneur », en quelque sorte « Indépendant-Salarié-Bénévole-Coopérateur », et les taux d’imposition qui vont avec. Ceux qui osent, quel que soit le secteur, des projets mixtes, originaux ou coopératifs n’attendent aucunement la dérégulation, mais un assouplissement raisonnable et adapté de certaines règles, qui certes protègent le consommateur ou le client mais leur permettent aussi de travailler.

Changeons de fonds de commerce et transformons ce parcours du commerçant en parcours santé dont la définition est une promenade sportive rythmée par un ensemble d’activités, généralement dans un cadre naturel ou un parc urbain).