Acropolis, adieu : chronique athénienne.

Grèce

Jeudi 13 août 2015. A l’entame d’un délicieux repas, à la terrasse du Tzitzikasmermigas, non loin de Syntagma, une clameur se fait entendre. Quelques centaines de personnes tiennent à faire entendre leur désapprobation alors que le Parlement adopte le dernier memorandum conclu avec l’Union européenne. A nos voisins de table qui l’interrogeaient sur le motif de ce chahut, le serveur répondra sur un ton à la fois fier et désabusé: « c’est la Grèce… ».

Une façon de rappeler aux touristes clients que cela fait déjà quelques années que les manifestations se suivent et se ressemblent. Avec des pics au moment de la fermeture brutale de l’ERT, lors de la campagne de 2014 qui a abouti à la victoire triomphale de Syriza. Ou encore durant la semaine qui a précédé le referendum convoqué par Alexis Tsipras pour conforter sa légitimité à la veille du dernier round de négociation. Une légitimité ou peut-être plutôt une notoriété qui lui vient non seulement de ceux qui ont voté « non », conformément à sa demande, mais aussi d’ une bonne partie de ceux qui ont voté « oui », souvent pour les mêmes raisons que ceux qui ont voté non. Un peu comme en 2005 lors du referendum français sur le Traité constitutionnel, les électeurs français donnant à leur vote positif ou négatif des significations parfois approchantes. Cette ambiguïté est inhérente à la logique de ces consultations nationales sur des questions européennes. Elles deviennent très vite des plébiscites ou désaveux nationaux, sur le dos de l’Union européenne. Quant à la consigne de vote lancée par certains mandataires européens ou aux menaces proférées par d’autres, même s’ils ont avalé de travers quand Tsipras l’a annoncé, c’était parfaitement déplacé et cela n’a servi qu’à irriter un peu plus encore des électeurs déjà passablement désemparés ou en colère.

La nuit est tombée et une douce chaleur accompagne notre retour à pied à travers le quartier Psyri et vers le quartier Exarcheia où nous logeons. L’été bruxellois était moins torride la nuit du 13 juillet dernier durant laquelle s’est déroulée cette interminable négociation bruxelloise à 18 contre 1. Tous les protagonistes ont pourtant eu chaud cette nuit-là. Son issue n’était et ne sera pourtant ni le point de départ et encore moins le point final du drame que vivent des millions de citoyens grecs.

Le centre d’Athènes n’en porte cependant pas les marques visibles au premier coup d’œil. Surtout dans ces périodes estivales où les touristes ont remplacé les athéniens, pour beaucoup partis dans les îles, en famille. La famille, celle qui, pour le meilleur et pour le pire, fait office de filet de sécurité et de solidarité. Notre logeur, jeune diplômé et travaillant dans le secteur de l’édition, qui comme beaucoup d’autres a perdu près d’un tiers de ses revenus, ne s’en sort que grâce à elle et divers « à coté ». Il n’envisage ni l’amélioration de son sort, ni de fonder une famille. Il me parle de son pote et voisin diabétique à qui on a coupé l’électricité car il n’arrive plus à payer ses factures d’énergie et qui vient chercher son insuline chaque jour dans le frigo familial. C’est donc une précarité qui ne saute pas aux yeux, certainement pas à ceux des « institutions ». .

La vie de tous les grecs est profondément transformée, sa qualité détériorée, pour certains évidemment bien plus que d’autres. Mais pour tous, l’amertume est immense et partagée. Son intensité varie selon qu’on est jeune, moins jeune, retraité ou réfugié démuni. Les jeunes dont l’horizon est bouché en veulent à la génération précédente, responsable de la mauvaise gestion, de la corruption, de l’absence de fiscalité et de justice redistributive. Beaucoup d’entre eux commencent à en vouloir à Tsipras qu’ils accusent de mensonge et de trahison et qui s’en va chercher une nouvelle majorité. Certains diront que ce sont des élections purement tactiques, pour (se) sauver (son parti), puisqu’il dispose du soutien d’une partie de l’opposition à la Vouli. D’autres ajouteront qu’il fera encore perdre deux mois après en avoir déjà fait perdre six et qu’il ne cherche qu’à conforter sa popularité en faisant prendre d’énormes risques à tous les grecs déjà particulièrement stressés et déboussolés par les scrutins à répétition et les décisions qui s’en sont suivies depuis le début de l’année. D’autres encore diront que la situation politique était intenable avec la sécession d’une partie des élus Syriza et que l’élection est le seul moyen de donner à Tsipras la légitimité lui permettant de faire voter et appliquer les réformes. Autant celles qui sont difficiles mais nécessaires, saines, indispensables que celles qui sont brutales, dont les effets seront immédiatement annihilés par d’autres, celles qui servent juste à prendre de front une culture, des habitudes, une fierté. Des remèdes dont même les plus libéraux s’accordent sur le caractère indigeste mais aussi sur leur inefficacité probable si on n’ouvre pas enfin la question de la dette et de l’impossibilité de son remboursement, des dettes souveraines en général. Certains des créanciers eux se frottent les mains, comme ceux qui bénéficieront des bijoux aéroportuaires vendus dans la précipitation et à bas prix. Les garder dans le giron de l’état n’avait sans doute guère de sens si l’on veut établir des priorités dans les biens qui doivent rester publics, mais normalement, les soldes se terminent fin juillet…

On longe le parc Pedio Tou Areos que j’ai longuement traversé la veille, là ou quelques 600 personnes, des familles afghanes, irakiennes, syriennes campent dans des petites tentes igloo données par des citoyens grecs. Ils sont nourris et soignés par des collectifs de la société civile. Le linge pend sur des cordes tendues entre les arbres. Les visages sont graves et tristes. La ville a simplement mis des points d’eau et 6 toilettes mobiles. Il y a un tas de vêtements donnés dans lequel quelques femmes fourragent. Demain il fera encore 35 degrés…on annonce un village en préfabriqués à l’extérieur de la ville, pendant que sur les îles, et singulièrement à Cos, les bateaux de réfugiés se suivent.

Cela n’empêchera pas ces îles de déployer leurs charmes aux touristes depuis le début de l’été. Ni aux guides touristiques ou aux restaurateurs du quartier Plaka de démarcher le client 15 heures par jour. Et pour cause, c’est le seul moment ou ils peuvent s’assurer des revenus…

Les roses blanches d’Athénée ne sont pourtant pas complètement fanées, n’en déplaise à Mireille Mathieu. La lucidité et la résilience sont aussi au rendez-vous. Beaucoup savent qu’à court terme, leur sort dépend avant tout d’eux-mêmes et que le changement, c’est aussi et surtout d’eux qu’il viendra, quel que soit le vote qu’ils émettront le 20 septembre prochain.

Un commentaire sur “Acropolis, adieu : chronique athénienne.

Simon Nicole dit :

Merci Madame Durant pour cette carte postale émouvante et qui rapporte parfaitement la dignité de ces hommes et femmes lourdement punis, de quoi…je n’arrive pas à comprendre l’attitude des dirigeants européens! Cela fait 50 ans que nous, citoyens européens de la classe moyenne réclamons une Europe sociale et solidaire. De plus, cet argent dépensé pour et par Frontex afin d’empêcher les migrants d’entrer en Belgique, c’est écoeurant d’hypocrisie. L’Europe est un flop, c’est dommage, à part l’Europe des financiers et le fait que nous connaissons 50 ans sans guerre, qu’allons nous laisser à nos enfants et petits-enfants?
Merci de me lire et félicitation pour votre engagement et votre travail.
Nicole Simon

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