Le Royaume-Uni, l’île mystérieuse où on ne fait rien comme les autres.

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Même départementales, les élections françaises passionnent les élus, observateurs et médias de Liège à Bruxelles, de Mons à Namur. C’est tout le contraire pour les élections générales britanniques qui se tiendront dans les tous prochains jours. En passer quelques uns « in situ » en éclaire autrement les enjeux. La première conversation au sortir de la gare avec un chauffeur de taxi, électeur UKIP par dépit, a donné le ton.

La Grande Bretagne, cette île où on ne fait rien comme les autres européens, se tient encore et toujours à bonne distance du continent. David Cameron, au coude à coude avec le Labour Ed Miliband dans les sondages et donné gagnant suite à la naissance du Royal Baby, sait que par pur réalisme, une (courte) majorité de britanniques préfère rester dans l’Union. Mais il parie que la menace répétée d’un référendum sur la sortie de l’UE lui fera mordre sur l’électorat UKIP. Ce dernier est crédité de 10 à 15 % au niveau national, mais ne devrait décrocher que 4 ou 5 sièges en raison du système électoral majoritaire à un tour.

Ce système first past the post est très simple : dans chacune des 650 circonscriptions où l’on ne dispose que d’un seul siège, il est remporté par celui qui fait le meilleur score. En l’absence de second tour, de seuil ou de toute autre forme de pondération, ce comptage renforce l’écart entre le résultat en voix et le résultat en sièges. Ce système a toujours servi les 2 grands partis qui se partagent depuis des décennies les 650 sièges et gouvernent alternativement le pays.

L’électeur n’en est que plus découragé (on pronostique plus de 40% d’abstentions) en particulier celui qui vote dans des circonscriptions où le score écrasant d’un des deux grands partis rend tout basculement improbable, ce qui est le cas dans près de 70% d’entre elles. La campagne et l’élection ne se jouent donc que dans 30% des circonscriptions.

L’irruption du Scottish National Party dans le paysage politique national change cette donne exclusivement bipolaire. Sa progression, c’est surtout à sa leader charismatique et pragmatique que le SNP la doit. Il s’apprêterait à rafler 59 sièges sur 59 circonscriptions écossaises, dont 40 étaient jusqu’ici détenus par le Labour. Paradoxalement, le fait d’avoir perdu le référendum sur l’indépendance de l’Écosse, celui-là même qui a donné des sueurs froides autant à Cameron qu’aux européens, n’a en rien freiné cette fulgurante ascension.

Les Verts sont également de la partie dans cette ouverture politique au multipartisme. Annoncés à 10 %, ils ne pourront sans doute faire beaucoup mieux que conserver leur unique siège dans la circonscription de Brighton. Nick Cleg et les Libdem avaient déjà entrouvert la porte à la logique de coalition en s’alliant avec les conservateurs qui avaient emporté l’élection de justesse en 2010. Ils risquent de payer cash cette alliance perçue par leurs électeurs comme contraire au profil social, ouvert et alternatif qu’ils avaient proposé aux électeurs il y a 5 ans.

L’héritage de Margaret Thatcher, l’obsession du marché libre et non régulé, la santé certes gratuite mais de piètre qualité, l’explosion des mini-jobs et des « one hour contract », la perte de pouvoir d’achat de la classe moyenne, les pauvres plus appauvris qu’ailleurs sont autant de situations qui inquiètent la gauche continentale. Et quand au nom de ces stratégies, le Royaume Uni joue l’empêcheur de réguler en rond au niveau européen et négocie âprement ses innombrables exceptions, il exaspère à Bruxelles, sur tous les bancs.

Au cours des années 90, Tony Blair et sa 3e voie avaient pourtant bien réussi à inspirer les socialistes continentaux. Mais aujourd’hui, Ed Miliband n’enthousiasme guère et les partisans de l’alternance le poussent à faire alliance avec le SNP, ce qu’il a affirmé vouloir exclure. Cameron ne fait pas non plus l’unanimité auprès de la droite de chez nous. Il ne convainc guère que Bart De Wever qui, pour sa première visite extra-territoriale et pour soigner son image européenne (!) avait choisi le 10 Downing Sreet avant d’envoyer ses 4 élus européens dans le groupe des eurosceptiques !

Entre excentricité et tradition, innovation et conservatisme, entre Ken Loach et les traders de la City, le Royaume uni, 5ème puissance mondiale, première puissance financière et puissance nucléaire, et dont la Reine est aussi chef de l’Église anglicane, est et restera un État atypique et contrasté à bien des égards. Ni État unitaire, ni État fédéral, ce pays sans constitution écrite aura des choix déterminants à faire dans les prochaines années. Ils orienteront son propre avenir, sa cohérence interne autant que ses relations avec les États-Unis d’une part, avec l’Union Européenne et les 27 autres États membres d’autre part.

Terminons par un dernier paradoxe. Si de notre côté de la mer du Nord, l’Union Européenne est de plus en plus mal aimée parce qu’elle est considérée comme responsable des politiques d’austérité et des coupes dans les dépenses publiques, chez bon nombre de britanniques, quand elle est détestée (et c’est surtout à droite) c’est au contraire parce qu’elle tente d’imposer à tous et donc aux britanniques des réformes sociales, fiscales et une harmonisation indésirables.

Le choix des électeurs britanniques traversera la Manche, c’est certain. En comprendre quelques ressorts peut être utile pour un projet européen dans la tourmente.