Trois hommes et un destin.

3 hommes

La fin de la guerre froide dont on vient de célébrer l’anniversaire n’a pas mis fin aux batailles politiques chaudes en terrain européen miné sur lequel quelques généraux se livrent à un véritable slalom. Prenons-en trois : François Hollande, Charles Michel et Jean-Claude Juncker. Il y a en effet une certaine incongruité à observer le destin politique de ces hommes dans leurs responsabilités respectives, surfer avec courage sur la vague de l’inertie de l’histoire et de ses institutions.

Fortuitement, tous trois se sont récemment retrouvés dans la tourmente. L’un sur le plateau de TF1 tentait laborieusement d’infléchir la chute vertigineuse de sa popularité. L’autre, en direct au journal télévisé, au soir d’une manifestation monstre aura essayé de convaincre de la sincérité de la main qu’il tend aux partenaires sociaux. Le troisième, frais émoulu Président de la Commission, trébuchait sur la marche du ruling fiscal dont il connait pourtant parfaitement les contours, offrant au bal des hypocrites de quoi s’émouvoir, aux eurosceptiques le bâton pour le battre et aux citoyens victimes de mesures injustes de quoi nourrir un peu plus leur colère.

Malgré leurs qualités et leurs faits d’armes politique, tous trois exercent des mandats pour lesquels ils n’étaient pas « attendus ». Dans une certaine mesure, des faits étrangers à eux auront contribué à forcer leur destin : les frasques de DSK, les arbitrages politiques concernant le choix du Commissaire européen belge et le soutien d’une chancelière. Si chacun d’eux dispose d’une majorité arithmétique qui aurait dû et devrait leur permettre de gouverner sans trop de turbulences, c’est loin d’être le cas. De surcroît, dans ce qu’ils ont été amenés à décider et réaliser, ils ont pris quelques libertés par rapport à leurs campagnes et déclarations.

Peut-on clouer ces hommes au pilori en les accusant de mensonge et d’incohérence ou sont-ils inexorablement tributaires des vicissitudes de l’exercice aussi périlleux que décrié de la politique ? Ces convergences de destin, de choix, de situation sont-elles purement fortuites ou existe-t-il une explication plus structurelle ?

Tentons-en quelques unes. Tout d’abord, ils opèrent et sont le fruit d’institutions qui ne sont pas ou plus en phase avec les réalités et attentes des citoyens. En France, la 6e République et les réformes institutionnelles qu’elle impliquerait se font attendre. Le moteur franco-allemand est complètement grippé et le rapport de la France à l’Europe se détériore.En Belgique, malgré la récente réforme de l’État, la pression communautaire se trouve plus que jamais au cœur du gouvernement fédéral et variera au gré des tensions exercées par des majorités régionales inversées. Quant à l’Union Européenne, le retour en force de la concurrence entre États membres et leur mauvaise habitude d’affubler la Commission de tous les torts est l’une des raisons – et conséquences – de sa légitimité chancelante.

Ces inadéquations institutionnelles ne suffisent toutefois pas à justifier le décalage entre les responsabilités qu’assument ces hommes et les effets de leurs (non) décisions. En ces temps de crise et de montée des inégalités, ce sont aussi les contenus et les méthodes appliquées, pour la plupart éculées et répétées comme un credo qui sont en dissonance avec les réalités et défis du 21ème siècle.

Pourtant un peu partout en Europe, des réseaux citoyens, des entrepreneurs, des collectifs locaux les plus divers sortent des cases, proposent, innovent et développent des projets économiques basés sur l’échange, la collaboration et la fonctionnalité qu’il serait bon de prendre au sérieux. Ils sont marqués au sceau de la créativité, de la multi-disciplinarité et générateurs de gains environnementaux et sociaux. Ces nouveaux acteurs-citoyens, entrepreneurs 2.0 ne se retrouvent pas dans les réseaux traditionnels, les silots prédessinés ou les politiques du siècle passé qui ne leur font guère de place. Qu’ils aient fait les écoles de commerce ou vécu des parcours atypiques, qu’ils agissent dans l’économie, la culture, la promotion de la qualité de vie, dans leur quartier, région ou à d’autres échelles, ils fonctionnent autrement, sont connectés sur le monde auquel ils accrochent leur réalité. Leurs rencontres et le croisement de leurs initiatives ont quelque chose d’improbable et c’est une partie de leur force.

C’est aussi avec eux qu’il faut réinventer les politiques et la manière d’en faire. C’est du nouveau collectif, de la transition, de l’audace et si on voulait s’en saisir plus résolument, cela pourrait vraiment infléchir notre destin d’européens.