Désignations à gogo

Ce matin, côté hommes, on spécule sur le portefeuille de Didier Gosuin, nouveau (re)venu au futur gouvernement bruxellois. On gamberge aussi sur la façon dont après la saga de l’application de la règle de non cumul pour une partie des élus namurois, le trio socialiste wallon Magnette-Marcourt-Demotte va se partager les postes ministériels entre Région et Fédération Wallonie-Bruxelles. Alors même qu’en octobre 2012 (il y a un siècle…) le grand vainqueur à Charleroi disait vouloir se consacrer totalement au renouveau de la ville dont il devenait bourgmestre. Et que tout le monde disait que c’était vachement courageux et utile que quelqu’un comme lui y aille et mette les mains dans le cambouis Carolo. Il est entretemps devenu sénateur, président de parti ff (faisant fonction), négociateur avec l’autre président du PS, et devrait donc désigner un bourgmestre ff à Charleroi. Tout ça pour ça. Tout comme Rudy Demotte d’ailleurs qui a voulu et obtenu le mayorat de Tournai mais qui avait prudemment désigné le fusible qui sautera s’il perd la bataille ministérielle. D’entre les 3, il n’y a finalement que Jean-Claude Marcourt qui ne court qu’un lièvre à la fois.

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Côté femmes et CDH, on ne dit rien du joli chassé-croisé entre Joëlle Milquet et Céline Fremault qui consistait quand même à se moquer des électeurs et du fédéralisme, l’une s’étant présentée à la Chambre pour revenir à Bruxelles et l’autre à Bruxelles pour rester fédérale et redevenir ministre quand ce qu’elle appelle la « coalition de lâches » aura échoué. Je me rappelle pourtant des articles dithyrambiques sur le courage qui consistait à tirer la liste bruxelloise : « un choix de cœur et de raison ». Ouaouw ! Mais c’était en janvier dernier, il n’y pas un siècle, mais il y a très longtemps.

Côté fédéral et CD&V, c’est la nomination d’un(e) commissaire européen(ne) qui fait couler pas mal d’encre. Tailler à Kris Peeters un costume improvisé européen à défaut de lui voir accéder au poste de Premier ou naturellement faire monter Marianne Thyssen en puissance, elle qui travaille depuis des années avec beaucoup de conviction et de compétence au Parlement Européen ? Normalement, il n’y aurait pas photo, non ? En plus, la décision sur le/la commissaire belge ira vraisemblablement bien plus vite que la formation du gouvernement fédéral. Je note au passage, une fois de plus, que le fait de désigner celui/celle qui fera partie de l’exécutif européen, celui/celle qui aura le pouvoir d’initiative pour des directives concernant 450 millions de citoyens, qui au sein du Collège des Commissaires aura du pouvoir sur l’horrible TTIP, sur la conférence climatique de 2015, sur la refonte de la directive détachement des travailleurs …est discuté sans aucun débat parlementaire sur les enjeux et dans le seul potopoto belgo-fédéral. Il coûtera juste quelques points sur la fiche des répartitions d’influence au parti qui l’obtiendra. Comme le disait très bien le titre d’un des épisodes de la série Borgen consacré à la désignation du commissaire danois : « tu peux crier à Bruxelles, personne ne l’entend à Copenhague ». Il y a un peu moins de kilomètres, mais cela vaut aussi d’un bout à l’autre de la rue de la Loi !

Côté Strasbourg-Bruxelles, alors que Jean-Claude Juncker a été élu par le Parlement européen à la tête de la Commission Européenne, la désignation de celui, et vraisemblablement plutôt de celle qui devra mener la politique étrangère et diplomatique de l’UE dans les 5 prochaines années ne fait pas le buzz. C’est pourtant une décision imminente du Conseil Européen et dont l’importance est largement sous-estimée. Évidemment, l’expérience 5 dernières années avec Catherine Ashton n’a pas été un franc succès. C’est vrai, à l’exception du dossier iranien, elle n’a guère convaincu. Mais soyons de bon compte, elle n’a pas toujours été aidée par les états membres et le tout jeune Service d’Action Extérieure en est encore aux maladies d’enfance. Tout est donc à faire et l’absence d’intérêt pour cette désignation finirait par faire croire qu’il ne se passe rien dans le voisinage européen à l’Est et de l’autre côté de la Méditerranée, que les habitants de Donetsk et de Gaza vaquent calmement à leurs activités, que les Syriens ne payeraient plus le prix de notre indifférence, que les mères de Srebrenica d’il y a 19 ans auraient tout faux…

Côté Bruxelles-Strasbourg, la déclaration gouvernementale bruxelloise prévoit un Commissaire à l’Europe. La définition de ses fonctions est un peu vague mais pourrait être vraiment prometteuse pour assurer du lien autant sur le fond des politiques pour lesquelles la région est co-décideuse que pour une vraie politique de siège, entre autres pour un siège unique du Parlement à Bruxelles qui mettrait fin à la coûteuse transhumance mensuelle. Mais bien plus encore que cette longue bataille diplomatique, iĺ y a une bataille bruxelloise pour que ce statut européen et international de Bruxelles soit non seulement un enjeu urbanistique pour le quartier européen, mais devienne partie intégrante du projet régional, qu’il participe de la citoyenneté européenne de tous les bruxellois…des deux côtés du Canal. Plein de choses à faire dans ce laboratoire de l’Europe qui est en même temps sa capitale. Iĺ y a pourtant à craindre qu’on ne se pousse pas au portillon pour ce poste de Commissaire qui lui non plus ne fait pas le buzz…

Toutes ces tractations n’ont évidemment rien d’anormal en ces périodes de formation-information à tous les étages, au lendemain de la triple élection du 25 mai. Si toutefois elles pouvaient donner du sens aux projets, les incarner, plutôt que répondre aux seules contingences de la balance de pharmacien, ce serait tellement plus enthousiasmant. Et de sens et d’enthousiasme, malgré les désaccords, on en a cruellement besoin. Le choix des personnes et de leur feuille de route est intimement lié.