Ukraine : l’Europe ne doit pas avoir peur d’elle-même !

ukraine

En ces temps d’euroscepticisme, la présence de drapeaux européens sur la place Maïdan à Kiev nous a rappelé une évidence toute simple et sans doute, pour certains, un peu dérangeante : l’Europe continue de faire rêver, peut-être davantage en dehors de l’Union Européenne que dans l’Union Européenne. Mais plus qu’un rêve, il s’agit d’une interpellation qui est lancée à l’Union pour qu’elle soutienne inconditionnellement tous les Ukrainiens qui se sont engagés pour la démocratie et l’état de droit.

Alors que la campagne européenne semble marquée par la montée des partis anti-européens, alors que même certains progressistes sont sur le point de remettre en question le projet européen au nom de leur légitime rejet du néo-libéralisme, il faut se donner la peine d’écouter un instant le message tout simple que nous envoie la contestation ukrainienne autant que les conséquences qu’elle a engendrées sur la géopolitique et les relations avec la Russie. Il faut aussi mesurer, la fragilité de la situation du nouveau gouvernement de transition qui s’exprime devant le conseil européen ce jeudi, et le soutien qu’il est en droit d’attendre. Mais il faut tout autant définir une position commune ferme des Européens avec les instruments qui l’accompagnent vis-à-vis de la stratégie russe.

Que nous dit ce message ? Premièrement, qu’il ne peut y avoir de prospérité partagée sans démocratie et sans Etat de droit. Secondement, que jusqu’à preuve du contraire, l’Union européenne, au moins aux yeux de ceux qui vivent à ses frontières, constitue toujours le cadre institutionnel qui les garantit le mieux.

N’en déplaise aux irréductibles adeptes des théories du complot qui réduisent l’histoire à l’action de forces plus ou moins occultes, les Ukrainiens qui se sont mobilisés et ont payé de la vie d’une centaine d’entre eux leur engagement, ne l’ont pas fait parce qu’ils auraient été manipulés par des groupes privés, par la Commission européenne, voire par la CIA. De même, si elle est réelle et inquiétante, la participation de groupuscules d’extrême droite en Ukraine aux mobilisations contre le régime précédent ne doit pas être sous-estimée, mais c’est justement par l’encadrement démocratique, l’établissement d’une justice indépendante et une séparation des pouvoirs, dans un cadre fondé sur l’Etat de droit, que ces groupuscules pourront être écartés et contrôlés. Le mot d’ordre de Maïdan et de tous les Ukrainiens qui l’ont soutenu, est de se soustraire à l’emprise d’une oligarchie prédatrice qui a bridé l’émancipation de leur société, en captant une partie croissante de ses ressources. Ils savent que leur pays ne se développera pas tant que l’arbitraire, la corruption et le clientélisme le ravageront.

Nous devons admettre cette vérité qui semble encore dérangeante : les citoyens ukrainiens comme ceux de n’importe quel pays peuvent, de leur propre initiative, se mobiliser pour la démocratie, parce qu’elle leur semble la meilleure manière d’améliorer leur vie. Certes, de Tunis à Kiev, en passant par Le Caire, nous apprenons aussi que cela ne garantit pas la démocratie. Sortir de régimes totalitaires ou autoritaires qui ont détruit jusqu’à l’idée même de société civile ne s’effectue pas sans l’alternance de périodes d’euphorie et d’abattement, sans le travail toujours à recommencer de la citoyenneté, sans le développement d’une justice et de médias indépendants, d’une vie associative et de mobilisations syndicales fortes.

Les Ukrainiens n’ont besoin ni d’optimisme béat sur les vertus intrinsèques de la démocratie, ni du cynisme commun aux néo-libéraux et à certaines parties de l’extrême gauche qui raisonnent encore dans les vieilles catégories de la guerre froide. Même si la situation actuelle en a quelques relents, le monde a changé et la lecture qu’on en fait doit en tenir compte. Si l’Europe et la Russie veulent réellement partager la sécurité et la stabilité qui constituent la base de leurs intérêts communs, ce qui ne semble pas toujours être le cas pour le joueur de poker du Kremlin, elles n’ont d’autres choix que de soutenir la constitution démocratique des sociétés, de la Mer du Nord à Vladivostok. Cela implique un soutien rapide et fort pour la préparation et la tenue d’élections non seulement présidentielles mais aussi législatives, transparentes et démocratiques pour garantir au mieux la représentation des différentes composantes linguistiques et culturelles de la société ukrainienne.

Cela implique également de la part de l’Union européenne une politique de voisinage mieux définie, dotée de moyens plus ambitieux et qui dépasse les seules politiques de libre-échange et de partenariat énergétique.

Ni l’inquiétude que génère la situation actuelle, y compris sur le terrain militaire, ni les besoins économiques criants ne peuvent détourner l’Union Européenne d’un engagement dans une vraie coopération autour des droits fondamentaux et de l’État de droit. L’Union Européenne dispose notamment d’une expertise forte grâce à ses députés, tant européens que nationaux, qui peuvent aider à la construction d’un processus démocratique, de partis politiques, de renforcement de la société civile. Mais ce rétablissement de l’État de droit passe aussi par le rétablissement, essentiel, des rapports de confiance entre les différents mouvements. Il implique également d’établir les responsabilités pour les crimes commis afin de lutter contre toute forme d’impunité des autorités ukrainiennes. Cela passe par le gel des avoirs et des biens de tous les fonctionnaires ukrainiens, des législateurs et de leurs soutiens dans le monde des affaires qui sont responsables de la répression.

Enfin et surtout, il revient à chacun d’entre nous, à nos niveaux citoyens, de créer des ponts entre les sociétés civiles européenne et ukrainienne. Ces passerelles représentent sans doute le meilleur moyen de mettre à mal l’oligarchie en place. Il faut donc faciliter l’échange de visas et répondre aux appels de tous ceux qui ont appelé sans relâche à un dialogue avec la société civile européenne. Concrètement, l’UE doit soutenir toutes les initiatives visant la création d’espaces médiatiques libres.

Nous devons continuer à parler de l’Ukraine et relayer les aspirations de ses citoyens, sans idéalisation, ni méfiance excessive : garder les yeux grands ouverts sur les évènements en cours et être à l’écoute des Ukrainiens en recherche de leur propre chemin vers la démocratie.

Isabelle Durant Député européenne, Vice-présidente du Parlement européen
Benoît Lechat, Rédacteur en chef du Green European Journal