Un jour de Jasmin à Tunis

 Dans l’entrée du Bardo,  le parlement tunisien,  la foule se presse. On se congratule, on s’embrasse. : hommes et femmes, avec ou sans foulard, députés, ministres, représentants des partis politiques. Mais aussi ceux qui ont compté dans ce long processus de débat public : les syndicalistes de l’UGTT, les représentants de l’a patronale Utica, ceux de la Ligue tunisienne des droits de l’homme et de l’Ordre des avocats. La présence d’anciens, d’opposants de la première heure dont plusieurs ont croupi en prison pendant des années, ajoutait de la force et de l’unité à l’événement….

C’est un peu comme une grande réunion de famille, mêlant les générations. La salle se remplit, les conversations s’engagent et se croisent dans un joyeux désordre. Un bébé, celui d’une des députées se fait entendre avec force. Un autre emmène lui aussi son nourrisson dans l’hémicycle et se fait photographier avec lui. Un peu comme s’il voulait que ce tout petit soit témoin de ce moment historique.

Le cortège des voitures avait démarré un peu plus tôt, débarquant les nombreux invités, les voisins : chefs d’Etat du Maghreb et d’Afrique, présidents de Parlements, membres de familles royales du moyen Orient et…d’Espagne. François Hollande avait le déplacement. L’Union Européenne était représentée par Herman van Rompuy (dont la prononciation du patronyme est toujours aussi laborieuse et rarement correcte !) et moi même pour le Parlement. Le parlement européen qui a reçu le Président Marzouki et le Président de l’assemblée Ben Jafaar à de multiples reprises.

Chaque invité était reçu sur le perron par l’un des vice-présidents de l’Assemblée Nationale constituante, la larme à l’œil a chaque poignée de main. Les photographes et caméras sont là en nombre pour immortaliser et retransmettre l’événement. Les epad et autres smartphone seront eux aussi mis a contribution tout au long de cette longue cérémonie

La célébration de cette nouvelle constitution, publiée il y a quelques jours au Journal officiel, a lieu très exactement un an après l’assassinat de Belaid Chokri, dont la photo sous-titrée par la question « qui a tué Chokri » est accrochée a l’une des colonnes du magnifique hémicycle. Aucun de ceux qui prendront la parole n’omettra de lui rendre hommage ainsi qu’aux martyrs dont cet autre député Mohamed Brahmine, tué par balles en juillet dernier.  Ce tragique assassinat, en pleine crise politique, avait d’ailleurs fait dire à certains (qui le disaient déjà avant) que décidément, l’hiver arabe qu’ils invoquaient – comme s’ils l’appelaient ou à tout le moins jugeaient sa survenance inéluctable – s’installait cette fois pour de bon.
Les tunisiens ont donc démontré le contraire, même si beaucoup reste à faire.

Avec une bonne demi heure de retard, la cérémonie démarre. Une prière chantée, ensuite l’hymne tunisien, rythmé, chanté avec cœur par tous les tunisiens présents. L’émotion est palpable. Le président de l’ANC prend la parole, souhaite la bienvenue au pays du jasmin, remercie les invités mais aussi les militants, les activistes, les associations qui ont été le ferment de ce dialogue national.
A son tour, le president Marzouki remercie nommément chaque homologue chef d’état. François Hollande commentera et saluera les grands acquis de cette constitution, sa modernité, ce qu’elle représente. Il ajoutera : « la Tunisie n’est pas une exception, elle est un exemple ». Il sera chaleureusement applaudi. Les interventions se suivront, souvent se ressembleront. Le représentant du conseil national libyen remerciera de la solidarité sans faille qu’a manifesté la Tunisie aux premières heures de la révolution libyenne et assurera les tunisiens en échange de l’indéfectible soutien de son pays qui connaîtra bientôt la même échéance.

La vice-présidente de la confédération suisse, avec moi la seule femme à intervenir dans cette longue suite de messages portés par des hommes, aura des mots très justes pour saluer les avancées en terme de parité et de choix de la voie médiane entre l’islam et la modernité. Le président du parlement du Koweït aura droit, au terme d’un discours soutenant et amical,  à une standing ovation. Celui du Majilis iranien sera autrement plus polémique. Pas à l’égard des tunisiens, au contraire, mais par un discours long et bien rodé, vis-à-vis d’Israël et des USA, de ceux qui ont installé et  soutenu les ignobles dictateurs, etc…Il ajoutera que la révolution avait déjà eu lieu dans son pays il y a 35 ans, quand ils ont vaincu le Shah d’Iran. Il conclura en évoquant le martyr du peuple palestinien et la nécessité que les musulmans se tiennent la main pour faire barrage aux convoitises étrangères…

Ces quelques heures solennelles et ce florilège d’intervention auront  été une sorte de concentré incomplet mais finalement assez représentatif de la dynamique prometteuse qui s’est engagée.

Il ne faudra pas grand chose pour transformer l’essai politique dans la réalité quotidienne des tunisiens. Mais si un certain essor économique et une application sans (trop) de failles de ce texte ne sont pas au rendez-vous, il ne faudra pas grand chose non plus pour le faire basculer. C’est une responsabilité largement partagée.

Comme d’autres, vu la longueur de la cérémonie, je dois la quitter avant la fin. Les limousines noires identiques attendent les invités à l’extérieur. Un peu pressée, je m’assieds dans celle…du président Macky Sall du Sénegal, rencontré il y a quelques mois à Bruxelles, et qui me lance dans un grand éclat de rire : « vous m’accompagnez a Dakar ? »

 Le texte de l’Allocution Isabelle Durant à Tunis 7 février 2014

La vidéo : www.facebook.com/photo.php?v=10203291431035587

 

 

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