4ème Paquet ferroviaire : Diviser le secteur ferroviaire pour y faire régner la concurrence ?

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Diviser le secteur ferroviaire pour y faire régner la concurrence et ainsi « revitaliser les chemins de fer communautaires », tel est le credo de la Commission Européenne depuis bientôt 30 ans.  Ce rêve d’un grand marché ferroviaire européen, soi-disant promis à plus d’efficience et même à plus d’efficacité, par un démantèlement systématique des compagnies ferroviaires historiques, par une démultiplication « à l’anglaise » des intervenants spécialisés, les uns dans la gestion des infrastructures, les autres dans l’exploitation des gares, dans la mise à disposition de matériel roulant, dans la maintenance de celui-ci ou dans le service des trains, lui-même assuré par divers opérateurs indépendants, semble avoir conquis une majorité des députés membres de la Commission des Transports et du Tourisme du Parlement Européen.

 

Ce 17 décembre 2013, les membres de la dite Commission (TRAN) ont pour ainsi dire plébiscité les six propositions législatives formant le 4ème paquet ferroviaire, non sans les avoir quelque peu amendées, certes, mais sans pour autant modifier la logique et les présupposés douteux des deux plus controversées d’entre elles, à savoir les propositions de directive et de règlement concernant l’ouverture du marché des services nationaux de transport de voyageurs par chemin de fer.  Si le Parlement Européen dans son ensemble devait valider ce premier vote indicatif en première lecture, lors de sa réunion plénière de février prochain, c’est un bien étrange signal qu’il enverrait aux Etats Membres et au Conseil concernant l’avenir des chemins de fer européens.

En matière de gouvernance et d’organisation du secteur ferroviaire tout d’abord, le vote intervenu en Commission des Transports du Parlement Européen revient essentiellement à conforter le vieux rêve de la Commission Européenne, d’une séparation verticale complète entre gestionnaires d’infrastructures et entreprises ferroviaires, que ce soit de manière parfaitement explicite ou de façon plus sournoise, par l’imposition de « murailles de Chine » entre ces deux composantes du système ferroviaire.  Cette volonté de séparer et même de « désolidariser » les principaux métiers de ce secteur en réseau, en prenant ainsi le risque de les voir répondre à des logiques de fonctionnement différentes voire antagonistes, est d’autant plus étrange que la Commission Européenne n’a jamais pu démontrer qu’une telle mesure était nécessaire ou même préférable à une séparation plus ciblée des « fonctions essentielles » (répartition et tarifications des sillons sur le réseau) pour ouvrir le secteur à la concurrence dans le respect des spécificités du service public.  En l’absence d’une telle preuve, la base légale même de cette imposition en devient pourtant largement contestable.

Le résultat n’est guère plus brillant en ce qui concerne la pérennisation des prestations de service public face à l’ouverture des liaisons rentables à de nouveaux opérateurs.  Pour éviter que la libéralisation du transport intérieur de voyageurs ne fragilise à terme le service public ferroviaire, par un écrémage systématique des liaisons les plus rentables, et ne débouche sur une offre de trains moins diversifiée, moins lisible et moins cohérente pour les usagers, il eut fallu définir de façon beaucoup plus claire et univoque la notion d’équilibre économique des prestations de service public évoquée par la Commission dans sa proposition de directive initiale et enrichir celle-ci de balises tout aussi effectives en matière d’effets de réseau et de qualité de service.  C’est malheureusement loin d’être le cas du compromis voté en décembre dernier.

Mais ce n’est pas tout.  La Commission des Transports a également suivi la Commission Européenne dans sa volonté de dorénavant empêcher les Etats Membres, non seulement de définir des obligations de service public à une échelle autre que strictement locale, régionale ou « sous-nationale » (sic), mais également de regrouper dans un seul et même contrat de service public, l’ensemble des prestations concernées.  Dans une Europe qui compte bon nombre de pays dont les territoires et les réseaux ferrés sont moins étendus que ceux de certaines régions, cette façon de refuser par principe aux nations, des facilités réservées aux régions est pour tout dire étrange et ne manquera pas de poser des problèmes de coordination supplémentaires dans les petits pays dotés, comme la Belgique, de réseaux ferrés bien maillés et densément utilisés par endroit.

En outre, les divers contrats de service public consécutifs au partage obligatoire des réseaux nationaux en sous-réseaux locaux ou régionaux en « lots » devraient bientôt faire l’objet d’appels d’offres généralisés, sauf exceptions que la majorité des députés de la Commission des Transports se verrait bien laisser à la Commission Européenne le soin de préciser par un acte délégué !

La Commission Européenne et les députés de la Commission des Transports auraient-ils sous-estimé l’importance pour les usagers du rail, d’une offre de transports ferroviaires parfaitement intégrée et coordonnée sur les plans tant économiques et opérationnels, qu’informationnels, tarifaires et billettiques ? Pas vraiment :  les propositions législatives en débat prévoient bel et bien que les autorités compétentes, qu’elles soient locales, régionales ou nationales, les organes de régulation indépendants, les gestionnaires d’infrastructures, les multiples opérateurs actifs sur chaque réseau et les diverses instances censées les coordonner (comités de coordination, réseau européen des gestionnaires d’infrastructures, réseau des organes de régulation, etc.) seront tenus de veiller à l’élaboration de plans de transports publics multimodaux cohérents et détaillés, à la parfaite complémentarité de l’ensemble des services ferroviaires offerts sur un même réseau, au transfert des matériels roulants entre opérateurs de service public sortants et entrants, à la mise en œuvre de systèmes d’information et de distribution intégrés, etc. On est cependant en droit de se demander comment il sera possible d’y arriver dans un tel émiettement des acteurs…

Reste enfin à voir si cet impressionnant arsenal réglementaire sera suffisant pour pallier les conséquences inévitables de l’éclatement forcé de tout un secteur et si les coûts des divers dispositifs envisagés pour essayer de recoordonner et de gérer de manière intégrée les systèmes ferroviaires qu’on se sera préalablement ingénié à désintégrer ne seront finalement pas bien plus élevés que les économies que l’on aura éventuellement pu tirer d’un appel généralisé à la concurrence…  Ce qui est certain, c’est que l’analyse d’impact de la Commission Européenne est bien loin d’en avoir apporté le moindre indice, ce qui est déjà un comble en soi, et que l’expérience menée en Grande-Bretagne en la matière depuis bientôt 20 ans aurait plutôt tendance à démontrer le contraire !

Un commentaire sur “4ème Paquet ferroviaire : Diviser le secteur ferroviaire pour y faire régner la concurrence ?

Patrick Worms dit :

L’expérience à été tentée au Royaume-Uni, ou j’ai habité quelques années et me rends encore régulièrement. Les trains y sont très chers, sales, insuffisants, les offres des différents opérateurs ne sont pas coordonnées, un billet n’est pas valable pour le trajet X, mais uniquement pour le trajet X sur un train de la compagnie A, etc. C’est un cauchemar. Comparé à ça, le train belge, c’est le paradis. J’espère donc, chère Isabelle, que vous arriverez à convaincre assez de vos collègues en plénière de rejeter ce texte.

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