Ce choix, c’est tout sauf anodin, surtout au moment où remonte une certaine « germanophobie » (qu’il ne faut évidemment pas confondre avec les stratégies politiques européennes très contestables de Mme Merkel). A la traditionnelle cérémonie du souvenir dans la partie militaire du cimetière de Belgrade (Namur), il m’a été demandé de faire le discours de clôture, devant les anciens, les jeunes, les enfants, les citoyens namurois et leurs représentants politiques :
Chers amis de Wallonie et d’Europe,
Chers enfants,
Chers représentants des associations patriotiques et d’anciens combattants,
Je suis très honorée d’être parmi vous ce matin.
Je vous remercie de me permettre, par ces quelques mots, d’essayer de tailler un costume à la dimension de cette belle cérémonie qui marque le coup d’envoi des fêtes de Wallonie.
Un costume européen, à la fois ample et
protecteur, chaud et léger, qui habille notre passé récent, notre présent et notre avenir.
Dimanche dernier, à la même heure, à la Caserne Dossin à Malines, une caserne d’où
quelques 20.000 juifs et tziganes ont entamé leur dernier voyage, j’écoutais le cœur serré le témoignage d’un des anciens, un miraculé des camps de la mort.
D’un pas fier mais hésitant, il a gravi les marches de la tribune pour nous livrer, la voix empreinte d’émotion, un récit qui a glacé l’assemblée.
Des récits comme le sien sur ces événements tragiques et barbares, il y en a des milliers. Ils marquent les derniers survivants et leurs familles.
Comme d’autres récits, lettres et témoignages de ces milliers de jeunes gens qui ont été arrachés à la vie et reposent sous nos pieds, ils laissent en nous des traces. Du chemin du cœur, ils prennent celui de la mémoire, de notre mémoire collective.
Aujourd’hui, j’entends le témoignage de…notre jeune belgo allemand.
60 ans les séparent. 60 ans séparent en ce dimanche de fêtes de Wallonie, les plus jeunes et plus âgés d’entre nous ici présents.
Ces 60 années sont celles au cours desquelles, peu à peu, porté par des hommes et des femmes de paix, le projet européen a pris racine. Adenauer, Monnet, Schuman, et plus tard Simone Veil, Helmut Kohl, et bien d’autres, francais et allemands, aidés de quelques autres grands belges et italiens traçaient les premières étapes d’une formidable aventure. Celle de la réconciliation et de la coopération, celle d’un projet commun dont ses fondateurs ignoraient la puissance au moment même où ils le mettaient en marche.
Cette aventure commune se cherche aujourd’hui un nouveau souffle dans un monde profondément transformé. C’est à nous qu’il revient de lui donner un cap qui dépasse nos horizons nationaux ou régionaux, qui permet aux cultures et aux identités de s’affirmer, pour qu’ensuite elles puissent être transcendées dans cette aventure commune, celle des citoyens européens.
Oui, l’aventure est formidable, incroyable même. Les ennemis d’hier sont devenus des alliés.
A chaque fois que je prononce cette phrase, devenue presque banale, je frissonne en pensant à tout ce que cela charrie, à tout ce que cela a demandé à chacun.
Les jeunes allemands d’aujourd’hui portent bien sûr le poids de l’histoire, celles de leurs parents et grands parents, et s’en souvenir est une nécessité absolue. Mais ces jeunes sont aussi les enfants de la réunification entre l’est et l’ouest, courageusement engagée par l’Allemagne et son chancelier de l’époque, Willy Brandt.
Michel De Castillo disait : « pas plus que l’idéalisme ne renferme toute la vérité, le réalisme ne suffit pas à la contenir »
C’est donc entre ces deux pôles de la boussole qu’il nous faut naviguer. Un projet, un cap, un cap de bonne espérance, mais aussi de la rigueur, des stratégies, de l’endurance pour surmonter les obstacles.
La mer est houleuse, la mission périlleuse. Mais les meilleurs capitaines ne sont-ils pas ceux´qui mènent leur équipage à bon port, même avec un mauvais bateau et par mauvais temps ?
Je m’adresse aux moussaillons qui sont là ce matin, d’ici et d’ailleurs en Europe, ceux qui parlent la langue de Voltaire ou celle de Schiller. Vous qui donnez à cette cérémonie tant de chair et d’espoir : ce sera bientôt à vous de prendre le gouvernail.
L’Europe, c’est votre maison, votre jardin.
En parlant de l’Europe, de ce qui a réuni la France et l’Allemagne, le poète Schiller, dans les paroles de la première strophe de l’Ode à la joie qualifiait ainsi ces hommes redevenus frères :
« Deine Zauber binden wieder, was die mode streng geteilt, alle Menschen werden Brüder, wo dein sanfter Flügel weilt »
Mesdames et Messieurs, chers amis, chers enfants, permettez-moi pour terminer de nous rappeler cette devise qui fonde l’Europe : l’unité dans la diversité. Une devise qui va bien aux wallons. Une devise qu’il nous faut cultiver. Un défi fantastique. C’est l’esprit de l’Europe, de notre Europe. C’est aussi celui des fêtes.