Za’atari (Jordanie), Voyage au bout de la guerre

En marge de la reunion du Bureau de l’assemblée parlementaire Union pour la Mediterranée a Amman -la présidence en est maintenant assurée par le President du Parlement Jordanien- j’ai demandé qu’il nous soit possible de visiter un camp de refugiés syriens, le PE ayant voté une résolution sur cette douloureuse question le mois dernier. Passer de la résolution a la réalité. Ces quelques heures sur place ne nous ont pas laisse indemnes.Ils sont aujourd’hui près de 130.000, hommes, mais surtout femmes et enfants syriens à avoir abouti dans le camp de Za’atari, de l’autre côté de la frontière, en Jordanie. Beaucoup d’entre eux ne viennent pas de si loin et sont arrivés de Dare et des alentours, à une trentaine de kilomètres de là. Si près que quand la nuit tombe et que le calme s’empare de ce camp surpeuplé, ils entendent les tirs au loin. De quoi rendre leur séjour encore plus pénible…

Dans cette partie de la Jordanie, à une heure d’Amman, de même que dans bien d’autres coins du pays, l’accueil des premiers réfugiés syriens s’est fait spontanément, dans les villages, dans les maisons des jordaniens qui y accueillaient de la famille, des proches, des voisins, connus ou inconnus, avec qui ils ont et avaient beaucoup en commun. Au fil des mois, les flux de refugiés et le caractère parfois plus sauvage de leur intallation a poussé les autorites jordaniennes -qui ont maintenu leurs frontières ouvertes depuis le debit di conflit- et avec l’aide de la communauté internationale, du HCR, de l’Union Europeenne et d’autres bailleurs de fonds, à organiser autrement les choses. Le tour du camp actuel par la route qui l’entoure, une quasi ville qui devient de facto la 4ème plus grande agglomération du pays, fait apparaître assez clairement où se trouvaient il y à plus d’un an les premières installations. Entretemps, le flux incessant des arrivants oblige les responsables humanitaires du camp a gérer cet espace de tentes et de préfabriqués par secteur, 12 au total, de part et d’autres d’une sorte de « grand rue » centrale baptisée les Champs Elysés et où se sont installés diverses baraques et échoppes vendant des bricoles.
Ils ont identifié dans ces secteurs ce qu’ils nomment des « street leaders », des femmes ou des hommes, plus souvent des hommes, qui par leur aptitude naturelle ont une certaine autorité ou capacité à pratiquer médiation et arbitrage des petits et grands conflits d’un quotidien fait de cartes de rationnement, de distribution plus ou moins bien organisées et réparties d’eau, de pain, d’accès aux soins ou aux sanitaires de fortune…le tout dans une très grande promiscuité.

J’ai rencontré l’un d’eux. Un homme d’une trentaine d’années, père de famille, la casquette enfoncée sur la tête et le regard franc, direct, intelligent. Je ne saurai pas ce qu’il faisait en Syrie avant d’arriver dans ce camp, tant son souci et celui de ses compatriotes était de nous faire connaître les problèmes du camp, mais ce que je sais, c’est que cet homme, à la fin du conflit et quand il pourra rentrer chez lui, pourra être maire ou élu ! Il réunit des comités d’habitants autour de sujets concrets, se balade le GSM à l’oreille et filme les endroits problématiques pour les relater avec le plus d’objectivité aux responsables du camp. Il dit qu’il ne dort quasi pas tant il est sollicité. En définitive, comme un élu d’une entité qui brusquement manque de tout, mais dans laquelle on vit sous tente ou entassés dans des préfabriqués. Il doit assumer sur tous les fronts. Les branchements pirates pour avoir de l’électricité et qui font exploser les transformateurs, la distribution du pain aux quartiers les plus éloignés, l’accès à l’eau mais aussi les conflits de toute nature entre des gens traumatisés, démunis, qui vivent dans l’angoisse et la nervosité, dans l’agitation et le bruit incessant des camions qui effectuent chaque jour 300 transport d’eau potable et d’eaux usées.
Car les chiffres sont hallucinants : dans ce camp installé au milieu de nulle part, exposé aux grandes chaleurs en cette veille de Raladan, ce sont pas mois de 25 litres d’eau par personne soit 4 millions de litres par jour qui sont livrés, 38 tonnes de pain par jour, 60.000 colis alimentaires par semaine, 10 millions de dollars par mois pour des « vouchers », sorte de chèques repas, le tout pour un montant avoisinant les 26 millions de dollars par semaine !
L’approvisionnement est un casse tête et il s’agit maintenant pour ce camp, qui ne risque pas de fermer a court terme vu l’enlisement (et l’impuissance de toute la communauté internationale a y mettre fin, cette dernière « préférant » payer pour secourir…) de passer a une stratégie de long terme : responsabiliser les « habitants », organiser des « magasins ».

Des plaines de jeux et terrains de foot on été construits pour canaliser cette jeunesse désœuvrée et perdue…La population du camp est de 60.000 enfants de O a 17 ans. Seulement la moitié d’entre eux sont scolarisés dans les écoles du camp crées de toutes pièces pour éviter les trop longues ruptures dans la scolarité et garantir une forme de certification. pas assez d’ecoles pu trop loin du barraquement habité (parfois 3 ou 4 km, difficile de laisser de jeunes enfants faire cette route seuls). L’école leur offre aussi une certaine protection, un environnement sécurisant. Pour les plus âgés, surtout les garçons, la délinquance est quasi inévitable et les trafics en tous genres sont permanents. La sécurité et la prévention des trafics, ainsi que la lutte contre l’impunité, amènent les autorités jordaniennes qui en ont la charge, à faire entrer des juges dans le camp.
Les abus sexuels sont également fréquents même si pas quantifiables, ains que ce qu on nomme les mariages précoces ou mariages de plaisir, c’est a dire des mariages de courte durée, avec de très jeunes filles, contre indemnisatiońa la famille. Autrement dit, une forme de prostitution juvénile tolérée…

L’environnement immédiat du camp paye aussi un prix fort. L’environnement physique d’abord : les infiltrations d’eaux usées polluent les nappes phréatiques déjà peu fournies (la Jordanie est l’un des pays de la région où la pénurie d’eau est´la plus grande)les routes sont défoncées par le ballet des camions, les dispensaires de soins sont vidés des médicaments qui ne sont donc plus accessibles aux jordaniens, la petite criminalité se développe…
Si on ajoute a cela les centaines de milliers d’autres réfugiés syriens qui avaient un peu de moyens et ont pu louer des logements (la demande augmentant, le prix des loyers s’est envolé et devient inaccessible aux jordaniens les plus précaires) ou ceux qui, parfois les mêmes, travaillent dans l’agriculture ou ailleurs, mais a des tarifs bien inférieurs à ceux pratiqués avant la guerre pour les jordaniens, on a toutes les conditions d’une explosion sociale dans un pays ou les réfugiés représentent jusqu a 20pc de la population.

Et dire que les quelques dizaines de milliers de libyens ou d’africains qui ont traversé la méditerrannée après la guerre en Libye ont fait hurler les européens qui parlaient de flux incessant…