25 juillet 2013 - Le Soir
Le Soir – Carte blanche d’Isabelle Durant, députée européenne et Vice-présidente du Parlement Européen
Sous la canicule ou la drache, ce qu’on nomme la « pause estivale » démarre chaque année au lendemain de la Fête nationale. Celle de 2013 aura été, en raison mais aussi au-delà de la succession royale, riche en émotions, en quête d’unité. Oserait-on dire qu’on y a ressenti un sentiment de joie partagée, collective, rassembleuse ? Une expression sans doute éphémère et circonstancielle mais qui traduit autant l’inquiétude que le besoin profond de (se) retrouver (sur) de nouvelles bases communes.
Cela a été dit et répété au fil des discours de façon très explicite: quand la Belgique va bien et retrouve ses marques, c’est autant une voie à suivre qu’une expérimentation pour l’Europe. Dans un format différent, les mêmes tâches nous sont en effet assignées, les mêmes défis doivent être relevés: combiner centralisme et décentralisation, identités et espace public partagé, solidarité et responsabilité, en commençant par les terrains économiques et budgétaires, en déminant la concurrence fiscale et sociale. À l’échelon belge et européen, les logiques politiques régionales (et nationales) doivent être prises au sérieux, associées, pour pouvoir ensuite les fédérer et les transcender. Ce n’est pas une condition suffisante mais en tout cas nécessaire pour refonder un projet commun, belge et européen, adapté au 21ème siècle.
Car les urgences belges et européennes sont là. Les moments de rassemblement, aussi précieux soient-ils, n’y apportent aucune réponse immédiate, ce que les gouvernements tentent de faire à coup de réformettes et colmatages. Avant le tumulte de la rentrée, la pause estivale invite à se poser, à identifier ces urgences mais surtout à les relier au temps long, celui qui fait tant défaut en politique.
Urgence nº1 : les inégalités croissantes
La première d’entre elles, ce sont les inégalités croissantes dans cette Belgique, cette Europe, ce monde si riche, qui a l’instar des sables mouvants englobe tous ceux que l’austérité a contribué à faire déraper. Elles font souffrir et excluent un nombre croissant de citoyens belges et européens. Le chômage des jeunes s’y ajoute, injuste et ravageur. Il plombe leur présent mais aussi l’avenir de toute la génération la plus apte à le construire. Ce ne sont pas les 6 ou 8 milliards inscrits au budget européen qui changeront significativement la donne pour ces jeunes qui finiront, comme les pays du sud de l’Europe, par être considérés comme responsables de leur situation. Les valeurs et les réalités se sont inversées.
Il en va de même pour l’industrie et les impulsions économiques dont l’Union devrait être le moteur. Faute de stratégie et d’outils européens, qu’il s’agisse de Mittal à Liège, à Florange ou ailleurs, de Ryanair pour 3 euros le billet, ce sont les entreprises qui mettent les États en concurrence et plus l’inverse. Dans l’agro-alimentaire, ce sont les Monsanto et autres grandes compagnies du secteur qui dictent les priorités, qui spéculent sur les aliments, privatisent les semences, qui obligent les laitiers à vendre à perte. C’est ce qui arrive quand l’économique tient le gouvernail : ce sont alors les politiques qui colmatent la coque et les citoyens qui écopent.
Urgence nº2 : le dérèglement climatique
La seconde des grandes urgences, c’est le dérèglement climatique. Un peu partout en Europe, la crise de l’endettement fait reculer cette priorité dans l’agenda. Comme si on pouvait raisonnablement croire qu’on sortira de la crise en proposant des réponses identiques à celles qui nous y ont précipités… Alors que dans ce monde interconnecté et interdépendant, l’une des clés majeures de notre redéploiement économique, au vu de la finitude de nos ressources et du prix de l’énergie, c’est d’une part l’efficience énergétique pour tous, ménages et entreprises, et d’autre part un mix énergétique fondé sur les renouvelables. À ce sujet, saluons le grincement de dents de la Commission à propos des panneaux photovoltaïques chinois. Il est vrai que la menace est plus symbolique qu’autre chose au regard de ce que la même Commission s’apprête à négocier en terme de libre-échange avec les USA. Ce TAFTA est une autre des urgences sur laquelle il faut se mobiliser : un futur accord négocié loin de tout contrôle, qui met en danger nos seulement nos productions culturelles, mais aussi notre socle social, nos règles environnementales, tout ce qui fait l’identité et la spécificité des européens.
Nous y voilà: rendre des comptes, inclure la société civile transnationale, les citoyens, les niveaux de pouvoir, les parlements qu’ils soient régionaux, nationaux ou européen. Décider au niveau le plus adéquat, tel est le principe de la subsidiarité cher aux européens. À nous d’inventer la subsidiarité démocratique, c’est-à-dire, la manière de donner à chaque niveau sa voix, d’associer élus, société civile et citoyens aux bons moments de la prise de décision, et avec les leviers adéquats, même et surtout s’ils amènent de la contradiction.
La Belgique, joyeuse ce dimanche, est en pleine réflexion sur son avenir. Elle a en tout cas envie d’en avoir un. Pas plus que pour l’Europe, il ne peut être source de doute ou de désespoir. Les souverainistes nationalistes tentent de prendre la main, d’avancer les recettes du « bon vieux temps », plus imaginé que réel d’ailleurs.
L’Europe a un passé qui parle pour elle et ce n’est pas rien. Les succès des 30 dernières années sont trop souvent passés inaperçus ou apparus trop évidents pour l’Européen moyen. Ces réussites ne sont pas le fait des États membres mais de la collectivité. Elles sont le fruit de la mise en commun et de la solidarité et sont certainement sources d’espoir pour l’avenir, mais à condition de changer de cap autant que de capitaine. Les pages à écrire, dès la rentrée, c’est aux citoyens de s’en emparer, de monter à la manœuvre. Pour les Belges particulièrement, qui dans moins d’un an auront à donner leur voix, à indiquer la voie, pour tous ces niveaux. Il est bon de s’en préoccuper dès maintenant.