Au moment même où dans un rapport d’évaluation, le FMI reconnait que les mesures prises à l’égard de la Grèce sont disproportionnées et inefficaces, et que la Commission prétend qu’il n’y a rien à changer à la trajectoire entamée, on pourrait s’attendre à une énorme colère grecque. Pas vraiment. La profondeur de la crise dans laquelle les grecs sont plongés depuis 3 ans, sans en entrevoir le moindre début de sortie, déprime la société toute entière. Elle sursaute quand elle ressent les piqûres de rappel de l’humiliation que leur ont fait subir tous ceux qui les ont désignés comme les parias de l’UE. Une humiliation qui s’ajoutant à la précarité et à la perte de moyens et de repères précipite nombre d’entre eux dans les bras racistes et fascistes d’Aube dorée, tristement déguisés en “simples” populistes et soupe populaire…pour grecs de souche.
Après la participation à la manfestation anti-raciste et contre les neo-nazis en décembre dernier et avant la visite attendue de Dany Cohn Bendit le we prochain, j’ai consacré mes deux jours athéniens aux fédéralistes verts du group Thinkpi (http://thinkpi.gr/), à mes collègues verts grecs, et avec eux à une rencontre avec des représentants des travailleurs du secteur de l’eau et du secteur bancaire, avant de participer à l’Alter summit lancé par les syndicats, diverses ONG mais assez peu de grecques, et la gauche unie européenne. Le tout agrémenté de la présence de Maroussa, une jeune femme belgo-grecque (schaerbeekoise !) venue s’installer à Athenes depuis la crise, pour tenter d’apporter sa contribution d’expatriée.
Une fois encore, malgré l’apparence d’une ville “normale”, la precarité pour ne pas dire plus est perceptibe dans les quartiers du centre, et surtout au plus on s’en éloigne. Le nombre de magasins fermés, d’immeubles manifestement à l’abandon cotoye quelques rues plus loin la gentrification de certains quartiers qui deviennent très branchés. D’autres quartiers sont eux devenus des zones franches dont on chasse ici les heroïnomanes, là les étrangers La pauvreté s’y affiche douloureusement. La police est elle aussi omniprésente et pas spécialement rassurante. Elle se sent “libre” d’agir comme bon lui semble, parfois dit-on en complicité avec les militants néo-nazis d’Aube dorée.
Parler d’Europe en Grèce est difficile. La critiquer,ça va tout seul. Soutenir une idée fédéraliste c’est beaucoup plus courageux, même s’il s’agit d’un autre projet, tant le ressentiment à l’égard des institutions européennes confine au rejet, à la haine. Le parti Siriza entretient d’ailleurs un flou assez savant sur ce que ses élus entendent entreprendre à cet échelon s’ils devaient exercer des responsabilités exécutives.
Le think thank THINKPI (http://thinkpi.gr/)m’avait invitée comme “Spinelliste”.
Une salle bien pleine, une audience attentive, des intervenants de qualité et lucides, et en particulier celle d’une jeune femme chypriote, Rena Choplavou, fédéraliste convaincue, furieuse sur cette Europe, ces ministres des finances, qui par le cafouillage de leurs décisions devant la faillite de l’économie du pays -comme s’ils ne savaient pas, ce qui ne les avait guère dérangé jusque-là, que Chypre était un paradis bancaire – ont encore accentué la colère et la distance qui sépare Chypre du reste de l’Union. Ce faisant, ils ont exacerbé un nationalisme déjà bien vivace dans une bonne partie de la population chypriote qui se sent comme un corps étranger dans cette Union. Notre interlocutrice relevait subtilement que pointer les divisions et les différents au sein de l’UE est certes nécessaire, mais le messager chypriote est peut-être moins crédible, lui qui n’arrive pas à regler celui qui divise grecs et turcs sur l’ïle sur depuis des décennies…
Thinkpi hésite entre le fait de rester un groupe d’intervention politique dans le cadre de l’écologie politique ou entreprendre une action politique propre, autonome. Les élections de 2014 ne seront pas un moment périlleux que pour la Belgique. En Grèce, elles seront à la fois municipales, européennes et fort probablement législatives (le gouvernement en place escomptant “engranger” sur le relatif calme politique qui règne et l’image extérieurement “rassurante” que donnent à l’extérieur les “efforts” fournis par la Grèce.
Y aurait-il lieu de rassembler hors partis, ou plus largement, autour d’une force écologiste. Une sorte de Europe Ecologie Grèce ? A voir…
On terminera la soirée dans le quartier Plaka, autour d’un rezina et de meze qui n’ont rien à voir avec ceux qu’on sert dans les restaurants grecs à Bruxelles…
Le lendemain matin, c’est au tour des représentants des travailleurs du secteur de l’eau de nous exposer leur histoire, leur dilemne. Ils sont pour la plupart des fonctionnaires de la principale compagnie des eaux…en voie de privatisation. Sur exigence de la Troika, la compagnie des eaux comme d’autres entreprises publiques entre autres dans le domaine de l’énergie (pas le Port du Pirée, déja vendu à une compagnie chinoise) seront “logés” dans un Fonds spécialement conçu pour pouvoir ensuite pratiquer leur vente sans contrôle démocratique. En dépit de leur engagement dans l’Initiative Citoyenne Européenne en vue de faire de l’eau un bien commun, non privatisable, les appels d’offre sont lancés. Il est probable que Suez soit le candidat retenu. Et les citoyens grecs, certes pas toujours très heureux de la complexité, de la lenteur et de la bureaucratie que génère une administration désorganisée, aux systèmes informatiques différents, pourraient dans un premier temps y voir un éventuel avantage, tant les fonctionnaires en général ont été présentés comme responsables des dysfonctionnements. L’absence de culture adminsitrative, et d’administration crédible tout court, ce n’est pas la “faute de l’Europe”, les grecs le savent, mais le résultat conjugué de cette faiblesse administrative, de la petite et grande corruption avec la faillite économique et l’endettement colossal, c’est une Commission européene et un FMI qui y voit un terrain idéal pour dérouler leur crédo : le privé, le marché et la concurrence, c’est tellement mieux ! L’une des cadres de cette administration, entre révolte et résignation, nous explique qu’un fonctionnaire licencié, bien plus que n’importe quelle autre catégorie de travailleur, n’a aucune chance de retrouver un emploi tant il souffre d’une “tare”, celle d’avoir été fonctionnaire, et donc d’une présomption de corruption dont il est bien difficile de se départir.
Des représentants du secteur bancaire ont ensuite pris la parole après que mon collègue Philippe Lamberts ait commencé de leur expliquer l’état d’avancement du projet d’Union banquaire.
Je les ai laissé avancer sur ce sujet pour me rendre à l’Alter Summit, organisé dans le vélodrome des installations olympiques de 2004. Des installations gigantesques, pensées et dessinées par Calatrava, qui à l’exception de l’une des piscines où se déroulaient manifestement une mini compétition, sont complètement désertées. Un site surdimensionné pour les besoins sportifs de la ville, déserté et laissé à l’abandon, la nature reprenant ses droits à plus d’un endroit. Les montants des belles arches blanches de Calatrava, ressemblant furieusement à la gare de Liège, sont taggés. Une infrastructure que les Grecs payent et payeront encore, et dont on avait vanté les mérites, la toute nouvelle ligne de métro pour y arriver, la gare et autres installations à la fréquentation plus que clairsemée. Y tenir un Alter Summit a quelque chose d’anachronique…
Un sommet aux allures de Forum Social : stands et conférences ou ateliers. Je participais à celui consacré aux politiques économiques extérieures de l’UE. On y a parlé un peu de tout : des travailleurs domestiques, de l’accord de libre échange UE-USA, des politiques économiques procycliques, de la BCE…Le panel s’est conclu, du point de vue des partis et mouvements de la gauche radicale, sur la nécessité d’approfondir les alternatives et en particulier la question du démantèlement ou non de l’UE. L’intervenant se fera d’ailleurs reprendre de volée par un militant d’ATTAC qui lui fera remarquer que l’ultra libéralisme national ne vaut guère mieux que l’européen….bien vu.
Retour sur Bruxelles, où le Commissaire Olli Rehn continue sur sa lancée, dans un déni total de l’inefficacité des mesures d’austérité abusives imposées à la Grèce, il continue de refuser de voir l’inéluctable nécessité de restructurer une dette qui ne pourra jamais être remboursée sauf à laisser le désastre démocra.tique s’amplifier au point de mettre définitivement à genoux ce pays