Le coup d’Etat silencieux de Van Rompuy

 

CARTE BLANCHE – parue dans le journal Le Soir du Mardi 5 février 2013

Isabelle Durant Vice-présidente du Parlement européen & membre de la Commission des budgets

 

« Le coup d’Etat silencieux de Van Rompuy »

Alors que les ministres des Affaires étrangères et européennes des 27 ont repris lundi les discussions sur le budget, l’Ecolo Isabelle Durant tire à boulets rouges sur le Président du Conseil.

Depuis le début de la crise et à longueur de discours, la grande majorité des chefs d’État et de gouvernement européen emmenés par le Président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, plaident pour toujours plus d’Europe, toujours plus de démocratie et toujours plus de transparence. La négociation en cours sur le cadre budgétaire de l’Union européenne est, à cet égard, un bel exemple d’incohérence sur le fond et de déconstruction de l’Union européenne.

Rien ne semble en effet perturber ce qui s’apparente à un coup d’état silencieux pratiqué avec le consentement des 27 chefs d’État et de gouvernement.

La méthode Van Rompuy est anti-démocratique !  Rappelons les traités. Le Conseil européen, n’en déplaise à Monsieur Van Rompuy, n’a aucun pouvoir législatif ! Seuls les députés européens, représentant les peuples européens, et les ministres au Conseil, représentants les États membres, ont le droit de négocier, d’amender et de voter des textes législatifs et le budget européen.

Or, depuis le mois de novembre dernier et l’échec prévisible du sommet européen sur l’avenir du budget européen, Herman Van Rompuy continue, dans l’ombre discrète et froide des chancelleries nationales, de négocier bilatéralement le budget européen pour les sept prochaines années. Il négocie jusqu’au plus petit détail législatif, notamment en ce qui concerne la politique agricole et la politique régionale qui, rappelons-le, comptent tout de même pour près des trois-quarts du budget de l’Union.

La méthode Van Rompuy est anti-européenne !  Le projet d’accord du Président du Conseil européen est le fruit d’un échange avec chacune des capitales des États membres : cadeaux, primes et avantages dans l’un ou l’autre secteur en échange de leur soutien. On connaissait le chèque britannique, que Van Rompuy ne veut d’ailleurs pas remettre en cause. On connaîtra bientôt les 27 enveloppes octroyant des bonus à tout le monde : 2,27 milliards pour l’Espagne, 1 pour Athènes, 1 pour Lisbonne, 1 milliard pour le Mezzogiorno italien, 50 millions pour Ceuta et Melilla et 20 pour le Luxembourg. Une telle méthode ne peut produire qu’un assemblage minimaliste, et confirme une idée qui passe si bien dans les capitales : il n’y a pas de raison que l’Europe dépense là où les États membres se serrent la ceinture. À une différence près, et non des moindres : le budget européen est un budget d’investissement qui se dépense dans chacun des pays de l’Union et qui, si on concentre des moyens sur des projets durables, peut être le catalyseur d’un vrai redéploiement économique.

Analysons donc le budget qu’il propose : 80 milliards d’euros sur 7 ans. Le plus grand plan d’austérité en Europe ! Pis, ses coupes se concentrent dans les domaines d’avenir : 25 milliards d’euros de réduction pour la recherche, l’innovation, les infrastructures et la jeunesse ! Comment promettre un avenir aux Européens quand on ne prépare pas dès aujourd’hui le monde de demain ?
La méthode Van Rompuy va à l’encontre de la solidarité européenne !  Prenons le compromis qu’il défend. Il réduit massivement les budgets sociaux, comme le programme d’aide aux plus démunis, qui est amputé de 40 %, et taille aussi largement dans les budgets d’aide au développement, réduits pour leur part de plus de 10 %.

Mais soyons honnête et ne chargeons par le seul Président du Conseil. S’il peut mener sa négociation sans inclure les parlementaires européens, pourtant législateurs, et les menacer des foudres des citoyens européens si le Parlement avait l’outrecuidance, une fois sa négociation avec les 27 terminée, de ne pas vouloir accepter un paquet si indigeste et inadéquat, c’est qu’il est soutenu par les chefs d’États eux-mêmes. Certains comme M. Cameron affichant clairement la couleur, d’autres plus couards ou discrets, laissant l’avant-garde britannique tracer le sillon. Si une telle proposition devait sortir du Conseil des 7 et 8 février prochain, il est impératif qu’une majorité se dégage au Parlement européen pour refuser ce coup d’État et mettre en avant des montants et des priorités autrement plus ambitieuses, sortant du « business as usual » et répondant aux défis de l’heure.