Carte Blanche dans La Libre: Faire face aux eurosceptiques et populistes

CARTE BLANCHE  – parue sur le site du journal LaLibre.be  le 05/02/2013

et signée par Daniel Cohn-Bendit, Isabelle Durant et Serge Leonard

« Faire face aux eurosceptiques et populistes » 

Daniel Cohn-Bendit, Isabelle Durant et Serge Leonard… Respectivement co-président du groupe des Verts au Parlement européen, vice-présidente du Parlement européen et avocat, titulaire d’un master européen en médiation.
 L’Europe est en crise. De manière récurrente, elle est mise en danger. David Cameron brandit avec cynisme la menace d’organiser un référendum en 2017 sur la sortie de son pays de l’Union européenne et le prochain Conseil européen de février sera sans doute saisi de ces interpellations. Les mots-clés de ces eurosceptiques sont la défense des intérêts économiques nationaux que la lourdeur bureaucratique bruxelloise ne serait pas en mesure de protéger, la crise économique, l’insécurité Cette Europe est inintéressante, c’est celle de la peur, de la démoralisation.

A l’observer sous cet angle, l’Europe tend à devenir le chantre des populistes qui brandissent leurs petits drapeaux et chantent les refrains paillards de l’hymne bucolique des terroirs et des racines, le fait d’être né quelque part. Les principes fondateurs de l’Europe n’ont rien à voir avec ces postulats braillards des appartenances nationales et régionales. L’Europe est une très vieille idée dont le propre est la capacité critique d’opérer le décentrement identitaire permettant de s’ouvrir à l’autre.

L’Europe se reformule au gré des nouvelles réalités sociales. Elle procède d’un long parcours s’inspirant tout d’abord d’un nom grec, un nom qui signifie traversée et évoque les grands mythes tragiques de Sophocle. Elle s’est ensuite sédimentée à travers les siècles grâce l’apport des Lumières, de penseurs comme Rousseau, Diderot, Montesquieu, Nietzsche, Voltaire.

Elle s’est reformulée après la guerre 40-45 en se fondant non pas sur l’amour du terroir et de la race mais sur l’amour des idées, de la tolérance, de la démocratie et des droits de l’homme. Elle constitue enfin le symbole d’une lutte et d’une résistance contre toutes les formes de totalitarisme. Elle est symbole de paix. Cette Europe-là est en danger et est exposée aux discours du populisme sur l’origine et sur l’identité. Pour faire face, nous pensons que la résistance à ces vieux démons ne peut se faire que par un approfondissement de nos pratiques démocratiques en Europe, dont notamment un renforcement de la méthode communautaire contre la prédominance actuelle d’un intergouvernementalisme européen où les choix de quelques-uns sont imposés à une majorité d’Européens.

En outre, l’Europe doit non seulement élaborer de nouvelles réformes institutionnelles, mais elle doit aller au-delà par l’exploration d’autres lieux dont l’enseignement, la promotion d’une culture humaniste Elle doit se rappeler notamment que l’avènement de nouvelles pratiques démocratiques passe aussi par des réformes scolaires.

L’enseignement européen doit donc devenir une priorité et s’inspirer des valeurs qui ont guidé la création européenne. Pour ce faire, il est évidemment important de promouvoir des cours rappelant l’histoire de cette création et de l’édifice voulu par ses fondateurs, Schuman, Adenauer, Churchill, Havel, et par ses penseurs Semprum, Hessel.

Il est aussi important de rappeler que l’Europe de l’après-guerre 40-45 est née d’un contrat qui fait prévaloir les liens librement consentis sur les rapports de force et sur les liens d’enracinement. L’Europe est née d’un acte de volonté, d’un acte d’entendement qui décide de faire silence à l’esprit clanique et ethnique, à l’esprit et l’âme des peuples (Volksgeist). Elle s’engage aussi en faveur des droits de l’homme et du primat de l’individu sur le groupe. Elle procède d’une passion pour la démocratie et les droits de l’homme.

A l’instar de cette vision européenne, les pratiques pédagogiques européennes se doivent de reformuler des critères d’autorité s’inspirant du contrat social. Il ne s’agit donc plus de se référer à une conception dogmatique de l’autorité, ni à une conception charismatique de commandement, mais à une conception contractuelle de l’autorité, à une philosophie éducationnelle du contrat et de la solidarité sociale dont le principe serait la garantie et la promotion de la liberté de chacun. Il s’agit aussi de sortir de l’idéologie de la pédagogie du modèle, de la pédagogie du mimétisme et l’arraisonnement des individus en chose quantifiée, pour proposer une pédagogie du contrat social et du sujet.

L’Europe n’a rien à voir avec les questions d’identité, elle est le lieu d’une communauté a-communautaire, inorganique, insubstantielle. Elle propose une certaine conception du vivre ensemble fondée sur les valeurs démocratiques et le respect des droits fondamentaux. Cela ne signifie nullement qu’il faille nier la diversité culturelle, linguistique, religieuse des individus dès leur enfance. Toute personne a droit au respect de son histoire et l’Europe est diverse.

La question du qui suis-je peut aussi passer par la question du nous, du qui sommes-nous et doit garantir à chaque individu le droit, la liberté de maintenir des liens avec sa culture (pratiques de sa langue, pratique de sa religion), mais aussi le droit de s’ouvrir à d’autres cultures. Il ne s’agit donc pas d’assigner les enfants à leur communauté, de les river à leurs origines mais d’offrir aux enfants la possibilité de sortir des clivages culturels interdisant l’ouverture aux autres, cloisonnant un individu dans une culture et l’interdisant d’aimer d’autres cultures.

Il s’agit donc d’offrir des mesures d’accompagnement scolaire qui favorisent la traversée, la sortie des replis identitaires, la transculturalité, la diversité culturelle. Il s’agit en fait de revenir à l’essentiel, de dire non au communautarisme religieux et au populisme, mais oui au sujet et à son autonomie. De dire non à la morale sociologique du même et du conformisme, mais oui à la singularité.

Enfin, le XXe siècle a été marqué par l’expérience totalitaire (nazie, fasciste, bolchevique). Cette expérience mortifère doit nous amener à nous interroger sur les causes éducatives qui ont participé et participent encore à cette dynamique perverse. Elle pose la question de comment penser une éducation européenne capable de résister aux subversions de cette pathologie totalitaire ? Voilà l’Europe que nous souhaitons construire, une Europe qui ose aussi penser et élaborer une éducation européenne.