Grèce : De l’aube dorée au crépuscule

 

Retour de Grèce: la terreur dans des quartiers immigrés d’Athènes est un phénomène inquiétant. L’Union européenne ne mesure pas à quel point il faut aussi se préoccuper de l’évolution démocratique de la Grèce. On doit en faire une vraie question politique…

De l’aube dorée au crépuscule 

Je ne prétends pas être devenue une experte de la Grèce après quelques visites à Athènes et des contacts suivis avec mes collègues grecs au Parlement européen. Peut-être d’ailleurs vaut-il mieux ne pas laisser la parole  aux seuls experts de la troïka ou aux contre-experts qui, à juste titre, mettent en question sa stratégie suicidaire pour les grecs.

En revenant a Athènes, j’ai donc voulu non seulement comprendre un peu mieux la détresse et la dépression dans laquelle est plongée la société grecque mais aussi aller un peu plus loin dans la vérification de l’hypothèse suivante : la crise grecque autant que la gestion politique et économique qui lui est appliquée agit en quelque sorte comme une loupe, un miroir grossissant de la dynamique européenne. Chaque information sur l’un ou l’autre aspect de cette crise conforte les uns et les autres dans leur credo que ce sont non seulement les choix politiques mais aussi l’existence même du projet européen qu’il faut interroger. Les euro sceptiques  y trouvent ce qu’ils cherchaient, à savoir des raisons supplémentaires pour dénouer les liens de solidarité et de mutualisation. Les autres, européens plus ou  moins convaincus, qui avant même la crise des dettes souveraines se rebellaient à raison contre les orientations ultra libérales portées par les élus nationaux et européens, voient naitre dans leurs rangs une grande désillusion voire un populisme anti-européen qu’à gauche on n’attribuait jusqu’alors qu’a une frange extrême.

Retour sur le terrain du crime. Des crimes pourrait-on dire car crimes il y a eu et il y aura peut-être encore à Athènes.  Après pas mal de faits de violences racistes, plusieurs ratonnades ont coûté la vie à des migrants sans que pour autant on ait pu à chaque fois établir un lien de causalité entre ces crimes et les militants pour ne pas dire milices d’Aube dorée. Il y a quelques jours, un jeune Pakistanais qui pour seul délit roulait à vélo sur l’espace public, a été roué de coups à mort, en pleine rue, en plein jour.  Chaque jour, dans les quartiers où vivent à la fois les migrants et les grecs les  plus frappés par la crise, les néo-nazis opèrent, jouent les Rambo protecteurs des pauvres grecs, amènent de l’aide et de l’attention aux seuls ressortissants nationaux, se substituent à la police. Il est piquant de constater que comme le démontrent les sondages sortie d’urnes, la toute grande majorité des policiers a voté pour ce parti. Il y a donc une sorte de complicité, accentuée par le fait que pour récupérer les électeurs d’Aube dorée, le gouvernement  encourage la police dans des opérations coups de poings, un peu sur le mode de Sarkozy pour combattre le FN.

C’est en réaction à cette montée du racisme et du fascisme que la société civile grecque, d’Amnesty au monde académique en passant par toutes les associations anti-racistes et les représentants des communautés de migrants, s’est mobilisé dans une grande manifestation que j’ai rejointe ce samedi 19 janvier.

L’occasion de prendre la température,  de discuter, d’essayer de comprendre comment et pourquoi dans un pays qui, à l’exception notoire de la période de dictature des colonels, a dans son passe lointain et récent cultivé l’anti-fascisme  et stabilisé son régime démocratique, se développe aussi brutalement et rapidement un parti d’extrême droite. Car si la crise n’avait pas explosé de façon aussi violente avec son lot d’injustices, il n’existerait sans doute en Grèce que ce conglomérat d’activistes néo-nazis. Il ne serait jamais devenus le 3ème parti politique grec disposant d’un groupe d’élus au parlement et d’un financement public. Une extrême droite qui contrairement aux partis et mouvements de même nature en Europe ne polit pas son discours, ne cherche pas à séduire, mais affiche avec arrogance et violence sa xénophobie et ses options ultra-sécuritaires, jusque et y compris par le style de ses activistes et élus : crâne rasé et physique de para commando.

Cette extrême droite se nourrit du sentiment d’injustice ressenti si largement par la population grecque.  Dans  la vie quotidienne les effets secondaires des remèdes de cheval administrés sur prescription de la troïka  donnent lieu à un véritable désastre social, non seulement chez les plus pauvres mais aussi dans la classe moyenne : des coupes allant jusqu’à la moitié du revenu, plus d’accès au crédit bancaire, des charges immobilières, d’assurance ou d’énergie impayables, etc…La dernière tranche de taxation en ce début d’année, vu son effet cumulatif avec les précédentes,  est  vécue de façon plus injuste encore. Elle apparaît et  constitue de fait une sorte de cotisation  de solidarité qui fait payer l’évasion fiscale des uns par les captifs, ceux qui sont taxés a la source. Ces fonctionnaires qui ont géré en bon père de famille, prudemment, voient aujourd’hui fondre leur épargne ou leur assurance vie constituée parfois depuis plus de 20 ans. Et il faudrait qu’ils soient collaborant avec la task force européenne qui leur propose de supprimer des services inutiles ou inefficaces et des postes dans l’administration…leurs postes ! Evidemment que même s’ils peuvent convenir de la rationalité de la proposition, ils font obstruction ! Comment pourrait-il en être autrement ?  Pour tous, la solidarité familiale qui dans la société grecque revêt une importance capitale constitue un très appréciable rempart. Un rempart qui pour les plus touchés ne parvient toutefois  pas à endiguer ce qui s’apparente à un désastre  humanitaire.

Certes aujourd’hui, on s’est un peu éloigné du pic de la crise politique. La menace de sortie de la Grèce de l’euro a reculé offrant un répit précieux dans la course engagée et un coup de frein net à la menace systémique. Objectivement, c’est un succès pour l’Europe. Mais il n’a été  possible qu’aux dépens de la société grecque qui en paye le prix fort, et du contribuable européen, y compris  allemand, qui ne le mesure pas encore. Une pause qui par ailleurs  ne constitue pas une certitude suffisante pour faire  (re) venir les investisseurs au pays d’Alexandre le Grand.

Cette menace de sortie de l’Euro brandie par le vice-chancelier allemand avait un caractère punitif d’un point de vue moral (tout pour plaire à une bonne partie de l’opinion publique allemande) mais était d’une totale inefficacité d’un point de vue économique. Elle a surtout eu pour conséquence d’augmenter solidement l’effet récessioniste  des mesures appliquées  par la troïka a la Grèce.  Une récession qui est passée de 15 à 25 % et qui, en faisant craquer autant les gens que certaines digues démocratiques, a donné des ailes à Aube dorée.

Comment un pays riche peut il devenir  pauvre en aussi peu de temps  ? Quels sont les paramètres de ce déclin si brutal ? Il manque de chiffres et d’éléments pour le mesurer mais mes nombreuses rencontres avec la task force européenne, avec des acteurs politiques et de la société civile,  les observations que je veux approfondir, me persuadent que le danger démocratique et social est aussi préoccupant que l’insuffisance de gouvernance économique, l’indispensable rééchelonnement voir annulation de la dette grecque et la nécessité de construire une mutualisation des dettes des états membres de la zone euro. Une autre évidence s’impose : on ne peut pas faire une politique de dépenses publiques sans mener simultanément une politique équitable de recettes.

Pour le reste, un peu de modestie en raison des responsabilités qui sont celles de l’UE serait bienvenue. Autant que de nouvelles stratégies de fond, une réorientation urgente des fonds structurels vers des projets plus micro, d’économie sociale à multiples dividendes, aux effets plus immédiats en termes de reprise de confiance, de créations d’activités, d’encouragement au tissu des PME et TPME familiales pour se professionnaliser et étendre leurs activités et leurs produits, un soutien à l’agriculture paysanne, au tourisme rural durable, sont autant de choses qu’il faut promouvoir très vite. Mais il faudrait pour cela que les autorités grecques aient vraiment un projet,  décliné dans les régions, avec des partenaires associatifs et privés, avec des entités locales qui reçoivent  les moyens liés à la deuxième vague de décentralisation.

Tout cela aussi pour que Aube dorée, une appellation bien trop positive, se transforme au plus vite en crépuscule.

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