Peut-on critiquer l’Europe ?

« Le débat sur l’Europe est ouvert »

(article publié le 09/03/2012, Olivier le Bussy – La Libre Belgique)

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Derrière le consensus belge se cachent des divergences politiques. Magnette, De Croo et Durant en ont apporté la preuve, mercredi à l’ULB.

C’est vieux comme les traités de Rome : l’engagement de la Belgique envers la construction européenne a toujours été sans faille. Parce que c’est l’intérêt du petit royaume. Mais aussi parce que les formations politiques belges ont évité, depuis plus d’un demi-siècle, de soulever la question qui fâche : oui à l’Europe, mais quelle Europe ?

Le consensus (mou ?) belge a été ébranlé il y a quelques semaines, lorsque le ministre fédéral en charge des Entreprises publiques, Paul Magnette (PS) a épinglé la fibre « ultralibérale » de la Commission européenne et fustigé les politiques de rigueur budgétaire décrétées au niveau européen qui « nous préparent 15 ans de récession ».

Le ministre Magnette a été recadré par le Premier ministre Elio Di Rupo (PS itou) et essuyé des reproches virulents, surtout au nord du pays. Au point qu’il est permis de se demander si, sous nos latitudes, on peut critiquer l’Europe, du moins son fonctionnement, sans se faire taxer d’eurosceptique.

L’Université libre de Bruxelles a organisé mercredi soir un débat sur ce thème, sous la direction du doyen de la faculté de sciences sociales et politiques, Jean-Michel De Waele.  Etaient conviés à s’exprimer le susnommé Paul Magnette (par ailleurs spécialiste des questions européennes à l’ULB), le président de l’Open VLD Alexander De Croo (qui avait déclaré, à la suite des déclarations du premier, qu’il n’avait « rien compris ») et, last but not least, l’Ecolo Isabelle Durant, vice-présidente du Parlement européen.

Pour Paul Magnette, la réponse à l’intitulé du débat « va de soi, mais il faut expliquer le pourquoi du comment « . Pour le socialiste, si, au niveau européen on insiste sur « une discipline budgétaire monomaniaque sans en même temps développer des plans de relance, on va dans le mur ». Et de déplorer que l’Union calque son pas sur les destructeurs plans d’ajustement structurels montés par le Fonds monétaire international dans les pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine dans les années 80. Et d’une. Et de deux : « Les recommandations de la Commission européenne sont trop intrusives et elle abuse de son pouvoir. »Notamment quand elle prie la Belgique de réformer son système d’indexation automatique des salaires, « instrument anti-capitaliste » par excellence, estime Paul Magnette. « Le message » qu’on doit adresser à l’exécutif européen est »laissez-nous le choix sur la manière d’atteindre les objectifs fixés », insiste-t-il. Ce que dit la Commission n’est pas « sacré ». Car, selon le ministre, « le débat gauche droite classique est faussé par une intervention extérieure : la Commission dit ‘la droite a raison’ ». Et d’inviter les dirigeants européens à abandonner le très thatchérien discours « il y a pas alternative ».

Réplique du libéral De Croo : « Sur le six pack (législatif sur la gouvernance économique de l’Union), la gauche n’a gagné le débat ni au Parlement européen, ni au Conseil, alors elle dit qu’il n’y a pas assez de démocratie en Europe ». Trop libérale, la Commission, avec ses 14 commissaires de centre-droit, 7 libéraux et six socialistes ? « Le qualificatif ultralibéral en dit peut-être plus sur ceux qui l’emploient que sur la Commission. »

Quant à se plaindre de ses recommandations :  » Les Pays-Bas ont entrepris des réformes structurelles depuis quatre ans. Nous, nous venons seulement de commencer. C’est un peu tôt pour dire qu’on en a fait assez. » Enfin, pour Alexander De Croo, « il n’y a pas de crise européenne, il y a une crise de pays européens » qui ont laissé aller leurs finances publiques et/ou leur économie en roue libre.

Critiquer la Commission d’accord, enchaîne Isabelle Durant,  » au Parlement européen, on le fait tous les jours ». Mais attention de ne pas perdre de vue les bons projets de directives sur l’environnement, entre autres, sous peine d’alimenter le nationalisme. L’élue verte vise plutôt le Conseil, le cercle des Etats membres. « Pourquoi n’y utilise-t-on pas plus souvent le vote à la majorité que le consensus » qui ne permet pas d’identifier les lignes politiques, s’interroge l’eurodéputée ? « Se retrouver seul contre tous peut avoir un coût politique très lourd », reconnaît Paul Magnette. Qui admet une certaine schizophrénie dans la position des socialistes qui votent au Parlement européen contre le six pack approuvé par un gouvernement belge dirigé par un socialiste.

C’est là tout le problème, poursuit Isabelle Durant. « En Belgique, on est pour la construction européenne, mais jusqu’à quel point ? Le Parlement n’utilise pas le pouvoir de contrôle dont il dispose. Avant une réunion du Conseil, il devrait interroger le ministre sur ce qu’il va dire, sur sa stratégie, les alliances qu’il peut nouer sur tel ou tel sujet, puis ensuite discuter du résultat ».

Sur un point, au moins, les trois intervenants s’accordent :  » Il faut politiser l’Europe. »

(By Olivier le Bussy, in LaLibreBelgique, 09/03/2012)