Laissez-moi d’abord vous familiariser avec la façon dont on construit le budget annuel de l’Union européenne. Car la méthode européenne n’a rien à voir avec la méthode belge (je ne parle pas de l’interminable exercice en cours au niveau fédéral qui est sans doute l’exercice budgétaire le plus difficile et le plus particulier, et pour lequel les 6 partis en lisse qui allaient faire cela vite et bien sans les verts, n’en finissent pas de caler).
Normalement disons, c’est assez facile : après s’être entendu sur les grands paramètres en fonction des obligations et feuilles de route européenne (taux de croissance, niveau d’endettement, recommandations diverses), les ministres d’un gouvernement négocient chacun les montants pour leurs départements et leurs projets, finalisent un accord et le proposent avec les lois de finances qui l’accompagnent au Parlement qui les vote.
Pour l’Union Européenne, il en va tout autrement. D’abord parce que le budget européen est avant tout un budget d’investissement, des moyens qui sont dépensés dans les Etats membres ou hors UE pour ce qui est de la coopération et autres dépenses à caractère international (excepté 6% du budget consacré au fonctionnement et à l’administration de la Commission, du Parlement et du Conseil et de leurs divers services). Il n’est donc jamais en déficit.
Son cadre pluriannuel est décidé pour 7 ans, et donc c’est à partir de là qu’il est construit. Il est divisé en grandes rubriques et avec assez peu de possibilité de faire passer des montants d’une catégorie à l’autre. C’est au sein de ces rubriques qu’on peut décider d’affecter des moyens à certains projets plutôt qu’a d’autres.
L’histoire de ce budget 2012, elle a commencé il y a plus de 6 mois avec une proposition de la Commission européenne, comme il se doit. Comme il se doit, dès réception, la commission des budgets du Parlement a travaillé sur cette proposition. Chaque groupe politique y a apporté des dizaines voire des centaines d’amendements à la fois sur les lettres (les intentions, la description des projets et des actions, les commentaires des articles budgétaires) et sur les chiffres (les montants consacrés à chacune des actions). Au final, les parlementaires, en cohérence avec les grandes orientations prises, ont proposé d’augmenter les dépenses d’un peu plus de 5%, partant du principe que dans ces périodes d’austérité dans les etats membres, il est précieux que le budget européen puisse venir aider à des investissements, des dépenses sociales, de la recherche, des infrastructures y compris transfrontalières, des programmes sociaux et culturels et toute la fameuse stratégie 2020 approuvée par tous, les commissaires, les ministres, le Parlement.
Dans le même temps, le conseil européen des ministres du budget a fait le même travail mais est arrivé à des conclusions très différentes. Obnubilés par le court terme, le couteau sous la gorge quand ce n’est pas le révolver sur la tempe, pas question de consentir une augmentation significative et même parfois pas question d’honorer à temps les engagements pris l’année d’avant et qui doivent être payés. Et ce faisant, se constitue une sorte de boule de neige de « dette » dont les ministres se disent que cela peut attendre et peut-être que certains programmes, soient suspendus et peut être arrêtés faute de versement (ce fut le cas au 31 octobre pour des programmes de recherche). Tout cela même si, et les ministres le savent très bien, cet argent revient à des bénéficiaires sur leur territoire, à leurs agriculteurs, à leurs collectivités locales, à des secteurs économiques, sociaux, mais évidemment pas nécessairement à due proportion de ce qu’ils ont contribué. C’est cela la solidarité qui fait qu’en investissant parfois aussi dans d’autres pays de l’Union, ou pour des stratégies communes, on est à terme plus fort et on a clairement à y gagner. Mais pas tout de suite, pas pour le budget de l’année en cours. Et il faut avoir le courage de le dire, y compris à tous les nationalistes, populistes et eurosceptiques de tous poils si en vogue ces dernières années dans les parlements nationaux, qui vont éplucher le budget national et y repérer tout ce qui ne revient pas directement dans leur assiette et « sert les technocrates de Bruxelles ».
Il est grand temps que l’UE revienne à ses fondements : des ressources propres comme la taxe sur les transactions financières, qui ne passent pas par le prisme national et permettent à l’UE de soulager les budgets nationaux pour les projets ou les actions qu’il est plus intelligent et plus porteur politiquement, de construire à l’échelle supra nationale.
Revenons à la procédure : comme les deux propositions bien entendu ne coïncident pas, cela se termine par une conciliation qui revient à chercher l’accord entre les ministres du budget d’un côté et les parlementaires de l’autre.
C’est ce que nous avons fait toute la journée et la nuit jusque 3h du mat, dans le Juste Lipse, le bâtiment du Conseil en face du Berlaymont, au rond point Schuman.
Les 27 ministres ou leurs représentants et leurs équipes sont dans une grande salle, sous la présidence du secrétaire d’Etat au Budget de Pologne, présidence polonaise oblige.
La quinzaine de parlementaires de la Commission des budgets avec leurs équipes, se trouvent dans une autre salle. Cela va et ça vient. On se réunit ensemble, les ministres et les parlementaires, en la présence du Commissaire Européen au Budget. On interrompt. On fait des réunions séparées, en plénière ou par petits groupes.
On déambule, on mange des sandwichs, on calcule, on prend des notes, on téléphone. On perd aussi beaucoup de temps, mais reconnaissons le, ce n’est pas de la tarte de mettre tant de gens d’accord.
Parfois le ton monte, mais c’est rare. La pression d’ailleurs peut se marquer autrement que par les décibels…Alain Lamassoure, l’habile président de la Commission des Budgets, ancien ministre français du budget, est la parfaite illustration de ce style plus feutré. Il pratique avec excellence l’art de la séduction, le maniement des arguments, et hier, je l’ai trouvé parfois plus français que président de la Commission des budgets (la France et l’Allemagne, une fois encore, au Conseil, avaient laissé entendre qu’elles ne bougeraient pas d’un millimètre de la position du Conseil et forceraient le Parlement à s’y soumettre)
Et ce qui devait arriver arriva. Le Parlement a été contraint de battre quelque peu en retraite sur ses propositions et demandes.
Reste entre les lignes un gros dossier, l’enfant chéri et pourri gâté de tous les Etats membres, la France en particulier (c’est sur son territoire, sur le magnifique site de Cadarache, près d’Aix en Provence), de la Commission Européenne et de tous les groupes politiques au Parlement sauf les Verts : ITER : ce projet de recherche sur la fusion nucléaire, qui aura déjà coûté près de 3 fois le montant annoncé, qui mange la moitié du budget de recherche en énergie de l’UE, pour lequel il faudra encore consentir « par redéploiement » comme on dit (entendez, en allant prendre l’argent dans d’autres programmes) plus d’1,2 milliard d’Euros pour les suppléments…
On peut donc rogner sur tout, mais pas sur ITER. Il serait temps qu’on fasse entendre que ces dépenses-là, en période d’austérité, au-delà du caractère tout à fait aléatoire du résultat de cette rechercher hyper coûteuse et potentiellement dangereuse, sont indécentes….