Article paru dans le journal L’Echo, 22 août 201 1 par Frédéric Rohar
Plus que le Berlaymont, le Parlement européen est devenu le premier symbole européen que veulent voir les touristes. Et il promet de les accueillir avec de plus en plus d’égards.
Il se fait pudiquement appeler « l’Espace Léopold », mais les Bruxellois l’ont depuis longtemps baptisé le « Caprice des dieux « . Moins parce que la réalisation de l’Olympe de la res publica européenne a rayé de la carte un sympathique petit quartier d’artistes que parce que son premier bâtiment prend v aguement la forme du fromage éponyme. Le bâtiment Paul-Henri Spaak ne représente plus aujourd’hui qu’une partie des 500.000 m² de surface brute. L’espace est grand, et le visiteur prudent en étudiera les codes avant d’y pénétrer. Une vieille locomotive sur un panneau indique le côté « gare », vers l’esplanade et la place du Luxembourg, les petits arbres v ous mèneront plutôt vers le parc Léopold. Plus essentiel encore: saisir le sens de quelques acronymes: le « PHS » est évidemment le Paul-Henri Spaak, mais il y a aussi le « WIB », le « JAN », l’ »ASP »…
C’est par ce dernier que tout commence: l’Altiero Spinelli ASP, donc est l’entrée principale et le plus grand bâtiment du Parlement à Brux elles. C’est dans ses cinq étages de parking sous-terrain qu’on trouvera le supermarché local, les pools de minivans de l’institution, une armada de voiturettes électriques pour handicapés qui prennent la poussière, la poignée de vélos à l’effigie du Parlement… Avec un peu de chance, on peut même y croiser l’unique voiture électrique de l’institution. Pas de trace, par contre, d’une cave à vin, comme on en trouve au Parlement belge. « S’il y a une certaine austérité, elle est le résultat du brassage culturel, explique la députée Ecolo Isabelle Durant, vice-présidente du Parlement: on organise l’institution selon un mode de vie commun à tous. »Bacchus n’est donc pas un dieu commun aux Européens. Aux étages, les bureaux sont regroupés par groupe politique, et ça se voit: les affiches qui tapissent les couloirs des Verts contrastent avec les quartiers immaculés des députés libéraux . Le dénominateur commun, ici, ce sont les « cantines », symbole de la transhumance du seul parlement au monde doté de plusieurs sièges. « Chaque vendredi qui précède une session à Strasbourg, chacun place sa malle dev ant sa porte. On la retrouve le lundi à Strasbourg », explique une fonctionnaire.
C’est la passerelle Karamanlis qui mène au « Caprice » proprement dit: à quelques ex ceptions protocolaires près, l’entrée principale est condamnée pour des raisons de sécurité. Une immense sculpture de barres de métal enchevêtrées s’impose au cœur du bâtiment pour év oquer la diversité, l’équilibre complex e des pouv oirs… Chaque fonctionnaire a son interprétation, mais une chose est sûre: l’œuvre d’Olivier Strebelle fait 22 tonnes et prend la poussière. « Le Parlement vient de lancer un appel d’offres pour le faire nettoyer. Tout le défi est de trouver un produit à la fois écologique et qui ne doit pas être rincé », ex plique une fonctionnaire. Plus disgracieuses que la poussière, quelques baudruches crevées, inaccessibles, décorent tristement le mobile. « Une partie du personnel se bat pour faire interdire les ballons à la journée portes ouvertes… Sans succès jusqu’à présent. » Le Parlement est en outre tapissé de tableaux acquis aux quatre coins de l’Union. Quelque sept cents œuvres sont disséminées dans les lieux de passage. Le reste se trouve dans une petite caverne d’Ali Baba, où des privilégiés peuvent piocher pour décorer leur bureau.
Dans le grand hémicy cle de plénière, on s’affaire à l’entretien des appareils de vote. Ils ne sont utilisés que six ou sept fois par an pour les séances qui n’ont pas lieu à Strasbourg ou pour accueillir en grande pompe des hôtes de marque de passage à Brux elles. Mais le plus étonnant se trouve peut-être dans les quartiers du Président, au 12e étage. Derrière la rosace du PHS se cache une étrange salle prise en sandwich entre une grande baie vitrée et une fresque du même format: « L’enlèvement d’Europe ». C’est la salle sans nom…
Il faut dire qu’ici, les bâtiments ne sont pas les seuls baptisés: chaque antichambre, chaque passage porte lenom d’un Européen. « Comment les choisit-on? C’est une question qui donne lieu à des débats très folkloriques au bureau du Parlement », sourit Durant. La règle tacite veut que seuls des morts donnent leur nom aux lieux , mais une exception vient de défray er la chronique: « L’esplanade dev ant la place du Luxembourg sera baptisée ‘Simone Veil’. » Le fait que la Française soit toujours en vie a compliqué les débats…
Cette esplanade devrait d’ailleurs bientôt montrer un nouveau visage: « On pourrait y installer une cafétéria en été, y organiser des concerts, y organiser un marché de pro duits européens… » abonde Durant. Un pro tocole entre le Parlement, l’État belge, la Région, la SNCB et les deux communes sur lesquelles repose l’esplanade est sur le point d’être signé à cet effet. Le quartier devrait aussi gagner en dy namique grâce à l’ouverture, le 1 1 octobre prochain, d’un « centre des visiteurs »: expo pétillante d’interactivité qui accueillera les touristes, y compris les soirs et le week-end. Le Parlement, nouveau cœur touristique pour Brux elles ?
http://photo.lecho.be/De_la_cave_au_grenier-_le_Parlement_europeen.831.photo?page=1