Rêve nationaliste et cauchemar d’Europe ?

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L’Allemagne n’aimerait-elle plus l’Europe ? Ni la France ?

Comment et pourquoi, alors que jusqu’ici l’Allemagne avait le système européen dans ses mains, alors qu’elle jouissait d’un pouvoir et d’une influence considérable sur le présent et le futur de l’UE, n’est-elle plus prête aujourd’hui à « payer » pour cela, au sens propre et comme au sens figuré.

(voir ce qu’écrivait déjà Jean Quatremer dans Libé à ce sujet en 2009 http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2009/06/aujourdhui-lib%C3%A9ration-a-publi%C3%A9-un-sondage-effectu%C3%A9-dans-cinq-pays-de-lunion-allemagne-france-italie-espagne-et-su%C3%A8de.html

 Ulrike Guérot, politologue allemande, qui a dirigé l’unité ‘Union européenne’ du Conseil des relations étrangères allemand à Berlin, a décodé pour nous.

Les propos qu’elle a tenus à nos journées d’étude de Nîmes ce mardi sonnaient à mon oreille d’une façon très particulière, alors que mon portable crépitait de messages sur l’avancée dans l’impasse belgo-belge à l’œuvre depuis cet été.

 Manifestement, en Allemagne, le romantisme de Maastricht n’agit plus. Loin d’un article de foi, la confiance dans l’Europe se lirait au travers du prisme froid coûts-bénéfice. C’est un peu comme si l’Allemagne était devenue un « pays normal », comme les 26 autres, alors que jusque 1989, occupant la place et le rôle de seul grand pays pro-européen, son poids en Europe avait été si particulier, si incontournable.Une « anomalie » sur laquelle Jean Monnet et Jacques Delors ont fondé leur méthode de construction européenne, la fameuse méthode ouverte de coordination. 20 ans plus tard, l’Allemagne se sent victime, victime de sa réunification, victime de l’élargissement de l’Europe à l’Est. Des fardeaux cumulés qui sont jugés trop lourds dans toute la constellation politique qui veut maintenant un retour sur investissement (européen).

 Oserais-je me risquer à une comparaison avec le désamour belge ? Disonstout au plus à un parallélisme, et celui-là évident. La Flandre elle aussi veut être contributeur net dans la maison Belgique que certains rêvent même de quitter. Solidarité et transferts sont mis en question (et pour cause, puisque les seconds sont la conséquence logique d’un logique de solidarité). Comme l’Allemagne, et avant elle, la Flandre dit qu’elle fait mieux les choses quand elle les fait elle-même, seule.

 La nouvelle génération allemande ne parle plus de l’Allemagne fédérale et de l’Allemagne de l’Est : elle nage dans un nationalisme que Mme Guérot qualifie d’innocent. Ces jeunes, nous dit-elle, se sont socialisés dans la mondialisation et dans une galaxie politique allemande faite de 5 partis dont celui les Grünen qui occupe une place pivot. En dehors d’eux, le discours européen n’a plus guère la cote dans une Allemagne vieillissante, où la classe moyenne a peur de l’avenir, dans laquelle les infrastructures à l’Est restent (en dépit de quelques belles réussites) largement insuffisantes, où on dit et laisse dire que l’Euro a été imposé à cause de la réunification et qu’il serait à lui seul responsable de la vie chère. Certaines analyses mettent en évidence l’absence totale de lien affectif avec l’Euro, avec l’Europe, que 70% des allemands auraient en aversion.

 Le romantisme de Maastricht est bien en panne ! Mais celui de Yalta dans l’immédiat après-guerre l’est tout autant. C’est vers la Chine et la Russie que l’Allemagne, dont 25% de l’industrie est exportatrice, décide de se tourner, en solitaire, sans attendre l’Europe. On l’a tristement vu à Copenhague, mais pas seulement. Si son économie se porte plutôt bien, elle ne profite pas à une bonne partie de la classe moyenne inquiète, aux profs, aux médecins, aux fonctionnaires qui ne peuvent pas acheter …allemand.

 Un fameux paradoxe, car de l’extérieur, l’Allemagne est perçue comme florissante, exportatrice, entreprenante. Ce n’est pas pour rien que la réticence (le mot est faible) de Mme Merkel à jouer la solidarité avec la Grèce pour éviter que la crise grecque n’emporte la zone euro, a été perçue hors frontières comme de l’avarice. Et qu’au lendemain de l’accord de mai sur le prêt à la Grèce, les électeurs de Rhénanie-Wesphalie ont infligé aux chrétiens démocrates leur plus lourde défaite électorale depuis l’après-guerre.

 Cette perception inversée, Madame Guérot la juge fatale au regard de la contribution allemande aux grandes négociations à venir à l’échelon européen. Pour que l’Allemagne ne décroche pas complètement du peloton de tête européen, les accords à venir , entre autres sur les perspectives financières de l’UE et ses ressources propres devront répondre à plusieurs conditions. Il faudra qu’à Bruxelles, les termes de la négociation intègrent cette nouvelle donne allemande. Il faudra ensuite qu’un accord passe la rampe à Karlshruhe, c’est-à-dire passe le cap de la Cour Constitutionnelle allemande dont la jurisprudence récente a donné la primauté aux législations et prérogatives nationales sur les textes européens. La dernière condition, et non la moindre quand on sait que les élections législatives auront lieu en 2012, tout accord négocié à Bruxelles doitêtre « vendable » à l’opinion publique allemande. Ce n’est pas rien. Ce sera tout sauf simple mais il sera tout aussi impossible de faire sans cette donne-là.

 Tiens, voilà des conditions et un contexte dont on nous rabat les oreilles depuis des mois et dans lequel pataugent les négociateurs et autres clarificateurs de chez nous. Si l’hypothèse selon laquelle le principal vainqueur des élections en Flandre cherche réellement un accord (hypothèse non confirmée à ce jour), l’accord à trouver devra lui aussi répondre aux mêmes conditions : les termes devront en être négociables. Il devra être avalisé auParlement Flamand (qui est en quelque sorte la cour constitutionnelle politique de la Flandre, l’étalon de mesure)et il faudra qu’il passe la rampe de l’opinion publique flamande à qui les grands faiseurs de voix ont vanté les mérites de ce que la Flandre fait bien mieux seule…

Une opinion publique flamande qui, comme l’opinion publique allemande à l’égard de l’Europe, ne dit pas qu’elle n’aime plus (du tout) la Belgique mais l’aime (encore un peu) si elle peut poser les conditions de la contribution (en belge : responsabilisation-responsabilisering) des autres entités qui la composent.

En d’autres termes, pour accepter un très hypothétique accord, l’opinion publique flamande, formatée depuis des années sur ce thème, devra le percevoir comme économe en solidarité et susceptible de mettre fin aux transferts vers la Wallonie et Bruxelles…


Paradoxe des paradoxes, le pays qui tient le gouvernail de la présidence tournante souffre précisément de cet antagonisme nationaliste que la création de l’UE a pour vocation d’éradiquer…

Décidément, il n’y a pas qu’en Allemagne qu’on ne rêve plus d’Europe