L’expression est d’Alain Lamassoure, président de la commission du Budget du PE et ex ministre du budget en France
C’est intéressant de voir les mêmes questions, les mêmes difficultés, vues de France… Voyez l’article ci-dessous :
Alain Lamassoure : « Venir à Bruxelles, c’est faire vœu de chasteté médiatique »
EurActiv.fr | 21.09.2010 | Institutions
À Bruxelles, il est connu comme le loup blanc. À Paris, le député européen Alain Lamassoure, ancien ministre du Budget et des Affaires européennes, a disparu de la scène médiatique. Dans un entretien accordé à EurActiv.fr pour le trimestriel Médias, il revient, avec le sourire, sur ce « retour à l’anonymat ».
Interview d’Alain Lamassoure dans la Revue médias
© DR
Cette interview a été réalisée dans le cadre d’un partenariat entre Médias et EurActiv.fr.
Avez-vous eu la sensation d’un abandon médiatique de la presse française lorsque vous êtes parti pour Bruxelles ?
C’est exactement ça. Venir à Bruxelles, c’est faire vœu de chasteté médiatique. Pour un politique, c’est assez douloureux. Cette situation a été assez frappante sur le plan personnel. Pendant deux ans, j’ai été ministre du Budget d’Alain Juppé et porte-parole du gouvernement. J’étais dans les studios de télévision trois fois par semaine. En 1999, je reviens au Parlement européen. Et, simultanément, je disparais des écrans. Malheureusement, nous sommes nombreux à pouvoir dire la même chose. En dix ans, j’ai été invité une seule fois à une émission de télévision en direct d’une grande chaîne. Il s’agissait de « Soir 3 », à 23 h 30. Marie Drucker m’avait demandé de venir parler du rapport sur le citoyen et l’application du droit communautaire. J’avais remis ce document au président de la République le matin même. Deux jours auparavant, j’avais programmé une conférence de presse à Paris. J’ai dû l’annuler car aucun journaliste n’avait confirmé sa présence.
Lors d’un déjeuner à l’occasion de la première session plénière du Parlement européen, après les dernières élections européennes de juin 2009, vous avez presque remercié les journalistes présents pour votre réélection. C’est un peu grâce à eux ?
Oui. Je l’ai d’ailleurs dit avec humour et une certaine émotion. Les journalistes qui traitent de l’Europe et nous autres, députés, sommes un peu dans la même situation. Ignorés des médias. Tout naturellement, nous nous entraidons. En tant que porte-parole de la délégation UMP au Parlement européen, j’ai initié l’organisation d’un déjeuner avec les journalistes, lors de chaque session plénière du Parlement européen à Strasbourg. Dans ce milieu très compliqué, c’est l’occasion de discuter à bâtons rompus et de s’échanger des informations. Nous finissons par bien nous connaître. Ils sont respectueux des politiques car ils ont fait les mêmes choix. Et, à la différence de ceux qui traitent de politique intérieure, ils sont extrêmement compétents. Impossible d’être journaliste à Bruxelles sans connaître le fond des dossiers. Lors des dernières élections européennes, je me suis trouvé dans une situation difficile : durant la constitution des listes, il a été question que je sois relégué en position inéligible. Or, je suis l’un des très rares hommes politiques français à avoir délibérément fait le choix de la politique européenne, abandonnant même mon mandat de maire. Si je n’étais pas élu, ma vie politique s’arrêtait. De nombreux correspondants ont alors évoqué ma situation, ainsi que celle de Jacques Toubon qui était encore plus difficile que la mienne. Cela m’a beaucoup aidé. Une sorte de rumeur – « On ne peut quand même pas laisser tomber Lamassoure ! » – est parvenue aux oreilles de… Plus directement, sur un plan psychologique, le fait d’avoir la reconnaissance et l’estime des meilleurs connaisseurs français de la chose européenne était important.
L’échange d’informations entre journalistes et hommes politiques, tel que vous l’évoquez, n’est-il pas possible de la même façon sur la scène intérieure ?
Non. Le ministre du Budget connaît les problèmes budgétaires mieux que les journalistes. En revanche, aujourd’hui, je ne peux pas affirmer que je connais les sujets européens mieux que les journalistes.
Cette égalité de savoir entre politiques et journalistes est-elle l’unique différence des relations entre journalistes et politiques, entre Bruxelles et Paris ?
Quand vous parlez à des journalistes à Paris, vous savez que la diffusion va être beaucoup plus importante. Ce qui implique peut-être une manière différente de s’exprimer.
Davantage langue de bois ?
Attention ! L’expression langue de bois est trompeuse. Quand vous avez un mandat politique, vous représentez vos électeurs. Chaque fois que vous faites des déclarations en public, il faut veiller à avoir un mode d’expression digne et pas uniquement choquant. D’un côté, on nous reproche la langue de bois, et de l’autre, si nous en sortons, on nous accuse d’être politiquement incorrect.
Les journalistes britanniques, notamment les correspondants du Financial Times, sont souvent cités en exemple pour leur influence politique à Bruxelles. Pourquoi les Français ne sont-ils, selon vous, que rarement évoqués ?
Parce que le journalisme britannique est le meilleur du monde ! Depuis que je suis étudiant, je ne suis abonné qu’à un seul média : The Economist. Je ne partage absolument pas leur philosophie générale, que l’on qualifierait en France d’ultralibérale et qui, sur les sujets européens, est carrément eurosceptique. Mais, quand vous lisez The Economist, vous êtes aussi bien informé que le président de la République de ce qui se passe dans le monde. À Bruxelles, les journalistes auxquels j’ai le plus d’intérêt à répondre sont les Britanniques.
Pourquoi ?
Ils ont, à mon avis, la meilleure déontologie journalistique. Ils ne sont pas là pour se mettre en valeur mais pour savoir ce que pense la personne qu’ils interrogent. Leurs questions sont parfois très embarrassantes et visent à tester la cohérence de la pensée de leur interlocuteur, mais elles respectent totalement sa position. Cette attitude est très rare chez les journalistes français. Les journalistes politiques en général – et pas spécifiquement ceux basés à Bruxelles – ont toujours des arrière-pensées et peuvent avoir le travers de chercher à faire dire ce qu’ils veulent à la personne interviewée. Ils sont moins compétents et plus paresseux que leurs confrères britanniques qui connaissent à fond leur sujet et passent un temps fou à rencontrer des gens et échanger avec eux sans interview. Un député anglophone, comme je le suis, est très souvent sollicité par les médias non français. D’ailleurs, les grands médias français sont absents de Bruxelles. TF1 n’a pas de correspondant permanent ! Concrètement, cela signifie quasiment jamais aucune image du Parlement européen au journal télévisé. Le téléspectateur ne sait donc même pas à quoi il ressemble, ni s’il existe d’ailleurs. C’était moins le cas lorsque Jean-Marie Le Pen éructait. Maintenant qu’il fait moins de vagues, on n’en parle plus du tout. TF1 couvre uniquement les affaires européennes lors des déplacements du Président de la République française à Bruxelles. Et, dans ces moments-là, la chaîne ne parle que du Président. Les affaires européennes ne sont jamais évoquées. Quant au Monde, il n’a jamais trouvé le vrai remplaçant de Philippe Lemaître, son ancien « Monsieur Europe ». À Bruxelles, ses chroniques étaient une lecture obligatoire. Les télévisions du service public font mieux. Elles ont d’excellents journalistes. Mais tous sont dans une situation inconfortable : leur rédaction considère que l’Europe ennuie et que moins on en parle, mieux on se porte. Comme nous, ils ne sont pas soutenus.
Les situations sont-elles comparables ?
Nous sommes des spécialistes, des passionnés, et en même temps, des frustrés permanents. Nous savons que tout ce qui est important se décide à Bruxelles. Quand le président de la République fait des choix pour la France, il est de plus en plus souvent obligé de savoir ce qu’en pensent nos partenaires européens, même si la décision finale n’appartient qu’aux Français. Il serait plus que normal que la France envoie à Bruxelles ses meilleurs hommes politiques, ses meilleurs fonctionnaires, ses meilleurs journalistes. Les spécialistes des affaires européennes devraient enfin peser dans la vie politique française, dans les médias, jouer un rôle correspondant à l’importance du sujet traité. Or, ce n’est pas le cas. Nous sommes le plus souvent considérés comme des spécialistes un peu ennuyeux, en dehors du coup.
Selon des chiffres récents, le nombre de journalistes à Bruxelles a diminué de plus d’un tiers depuis 2005. Ces données vous surprennent-elles ?
Oui. L’aspect conjoncturel de la crise doit être déterminant. L’Europe n’était pas si fantastiquement attirante il y a un an, et si fantastiquement repoussante aujourd’hui…La crise économique oblige un certain nombre de médias à réduire les coûts. Parallèlement, la période la plus spectaculaire de la crise économique et financière est passée et la période flamboyante de la présidence française est derrière nous. Ce manque d’intérêt pour l’Europe s’explique enfin par la période de transition que nous traversons. Durant presque dix ans, le débat européen a été très largement concentré sur l’affaire de la Constitution. C’est enfin fini ! Aujourd’hui, les nouvelles institutions se mettent en place petit à petit. Au cours de la prochaine décennie, nous allons pouvoir parler de ce qui intéresse les gens.
Étant donné le peu de place réservée au traitement des affaires européennes dans les médias, comment faites-vous passer vos messages depuis Bruxelles ?
Tout dépend à qui je m’adresse. Si c’est à l’opinion, je suis forcé d’avoir recours aux médias. Pour les dirigeants français, nous sommes en contact. Nous sommes également particulièrement attentifs au lien entre le Parlement européen et le Parlement national. Je compte d’ailleurs sur cette relation avec les parlementaires français pour recommencer à intéresser les médias nationaux. Même si je n’attends rien des journalistes politiques proprement dits, qui continueront à ne parler que de la course à l’Élysée. Dès lors que des événements ont lieu au PalaisBourbon, les correspondants économiques nationaux, qui ne se dérangent pas pour venir à Bruxelles, assistent et relayent. Si nous développons ces liens avec le Parlement national, les journalistes français verront alors, par exemple, que dans tel ou tel domaine, les Danois sont meilleurs que nous, dans un autre, les Français…
Comment expliquez-vous que votre rapport sur l’application concrète du droit européen sur le citoyen n’ait eu aucun impact médiatique ?
Ce n’est pas parce qu’un sujet a une application concrète dans la vie du citoyen qu’il intéresse les médias. Il faut trouver une accroche tragique ou un peu croustillante. Un député de base ne constitue pas un bon client pour les médias. Tous les régimes dits « parlementaires », et pas seulement en France, vouent un assez grand mépris à la fonction parlementaire. Ce type d’initiative aurait eu beaucoup plus d’impact si un ministre s’en était emparé, ou si le président de la République avait donné suite. Cela dit, dans le cas précis, je ne lui en fais pas grief : entre la crise financière, la guerre russo-géorgienne et le plan « Énergie Climat », il avait de quoi être occupé par d’autres sujets plus importants.
N’y a-t-il pas des sujets médiatiquement plus porteurs que d’autres sur le plan national ? Le billet de un euro a eu, par exemple, un succès un peu inattendu dans la presse française.
C’est vrai. Et là, il faut reconnaître que les députés nationaux sont meilleurs que nous. Certainement parce qu’ils sont beaucoup plus près des électeurs. Nous aurions dû avoir l’idée du billet de un euro. Pourtant, le problème n’est pas d’avoir un sujet sexy. Prenez le plan « Énergie Climat », conçu, dès l’origine, par la Commission européenne. Ses premières grandes orientations politiques et objectifs chiffrés ont été adoptées sous présidence allemande, et il a été bouclé sous présidence française. Quatre jours plus tard, le Parlement européen en adoptait tous les textes. Il en a été très peu question dans les médias. En revanche, quand le Grenelle de l’environnement est examiné par l’Assemblée nationale, tout le monde en parle… S’il y a un sujet sexy actuellement, c’est bien le réchauffement climatique. Mais, il y a une espèce de biais : on ne parle de l’Europe qu’en fonction de la politique nationale et pour mettre en valeur, en positif ou en négatif, ce qui se fait à Paris.
Cette situation peut-elle changer ?
Oui. Quand il sera possible d’appliquer pleinement le traité de Lisbonne [qui réforme les institutions européennes, ndlr]. C’est-à-dire quand le successeur de l’actuel président de la Commission, José Manuel Barroso, sera élu au suffrage universel. Ce sera le cas en 2014. Nous demanderons à notre candidat de faire le tour des vingt-sept capitales. TF1 participera à l’organisation d’un débat type « Nicolas-Ségolène » ou « Obama-McCain » entre les deux grands candidats européens, qui sera suivi par les citoyens de l’Europe entière. La participation aux élections européennes pourrait augmenter considérablement, et, dans le même temps, le successeur de Barroso aura une autorité politique incomparablement supérieure à celle du président actuel de la Commission européenne. Il pourra se targuer d’être soutenu par 500 millions d’Européens ! Ce jour-là, TF1 aura peut-être un demi-correspondant permanent à Bruxelles.
Propos recueillis par Clémentine Forissier et Loup Besmond de Senneville