de Buizingen à Carrefour, de l’émotion à la colère

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L’actualité n’est jamais en reste. Après les images de wagons enchevêtrés dans la grisaille, c’est un autre drame, social celui-là, qui fait les manchettes.  On savait et c’était perceptible quand on passait la porte d’un Carrefour : ces magasins ne marchaient pas bien. Mais de là à annoncer brutalement la suppression de plus de 1500 emplois, il y a de la marge. Surtout quand on a bénéficié ces dernières années, via les intérêts notionnels et les centres de coordination,  de très solides  soutien publics (ce que Joelle Milquet appelle un « régime fiscal »).

Jusqu’il y a quelques jours, c’est la tragédie de Buizingen qui faisait la une.  Elle a tué près de chez moi. Le frère et le père d’un jeune qui est au Conservatoire avec mon fils,  la coordinatrice de la salle de presse du Parlement Européen qui était assise en face de moi dans le TGV pour aller à Strasbourg le mois dernier. Et les autres, ceux dont on a parlé et ceux dont on n’a rien dit, les miraculés qui étaient sur les plateaux de télé dimanche dernier…tous les cheminots, les rescapés de Pécrot qui revivent le cauchemar.

Comme je l’ai dit aux journalistes du Soir hier, au delà de ce drame, c’est tout un système qui montre ses limites. C’est une entreprise qui revient de loin, mais qui est au milieu du gué. J’ai eu une expression qui a peut-être pu être mal comprise. Je parlais des « ploucs », ceux qui trempent leurs tartines dans leur café ». Je voulais par là mettre en lumière le mépris que la SNCB a manifesté à ses usagers dans les années 80. Et certainement pas les milliers de voyageurs, navetteurs, cheminots.

Des années pendant lesquelles, à cause de cette vision et du culte et du tout à la voiture, on a désinvesti dans le rail, fermé des gares, des lignes, refusé d’investir et même d’entretenir du matériel roulant. Le rail d’aujourd’hui en paye toujours les conséquences. Surtout que ces années-là ont été suivies d’années de folles stratégies : l’une, très utile, qui a permis la réalisation du TGV. L’autre, qui a coûté très très  très cher (un peu moins d’1,5 milliard de FB)  à la SNCB et à l’Etat belge : l’achat de société de transport de marchandises par route sous la houlette d’Etienne Schouppe, soutenu par Michel Daerden et une bonne partie de la classe politique de l’époque.

Les années 2000 ont été celles du réinvestissement dans l’infrastructure, la sécurité, le matériel roulant. Les années du moratoire sur la fermeture des gares et des lignes.  et de l’investissement mais aussi de l’accident de Pécrot.  On en reparlera bien sûr, et moi la première si j’y suis invitée,  dans la commission spéciale que la Chambre met en place ce soir.

Il faut que cette tragédie soit utile, qu’elle serve. Pour faire le point sur la sécurité, les retards d’équipement, mais aussi sur les procédures, le management, l’organisation de l’entreprise, la souffrance des cheminots, leur formation de base et continuée.

Elle ne peut donner lieu à des règlements de comptes, une guerre des chefs (c’est déjà assez compliqué comme ça de faire fonctionner une entreprise de 37.000 personnes avec 3 patrons au lieu d’un), à des jeux politiques sur la ministre de tutelle ou sur les directeurs.

Comme nous en avons parlé ce matin en séance plénière du Parlement Européen,  il ne peut être questions de chercher les responsabilités où elles ne sont pas. Ce n’est pas à cause de l’Europe que l’accident à eu  lieu. Et singulièrement l’accident de lundi dernier, se passait sur une infrastructure publique, avec du matériel roulant public et des cheminots employés de la SNCB, entreprise publique.

Rien à voir donc avec la libéralisation du fret ferroviaire qu’il faudra par ailleurs évaluer : la discussion commence en commission transport au PE.  Petite digression : je vous conseille un détour par le blog d’André Flahaut : lui qui ne s’est guère intéressé à ces questions dans le passé, il s’adonne à une condamnation en règle de l’Europe sur un ton assez indécent quand on sait par qui ont été prises les décisions ces dernières années au chemin de fer, à la poste,…Soit.

Car en matière ferroviaire, ce n’est pas de moins d’Europe dont on a besoin mais de plus d’Europe. Je l’ai dit ce matin au Commissaire Kallas : tous les citoyens européens doivent avoir droit aux mêmes standards de sécurité. Autrement dit, il faut que la Commission soit plus exigeante, fixe des dates butoir pour équiper les réseaux ferroviaires d’un système de freinage automatique assistant la conduite identique et compatible entre les pays et les réseaux. Il faut que l’Agence ferroviaire européenne soit plus stricte et prenne elle-même en charge l’homologation des matériels pour mettre fin aux hésitations des compagnies nationales.

Par contre, ce qui est sûr, c’est que le métier de cheminot et de conducteur  a changé, que la pression et les conditions de travail des conducteurs ont changé, ont évolué, dans un réseau ferroviaire très chargé, avec une pression à la ponctualité.

Ce qui est sûr, c’est qu’il y a faire pour garantir un rail sûr, convivial, qui récupère des parts de marché sur les autres modes, qui soigne ses usagers et rend à son personnel fierté et passion.