De retour de Bari, à dessein, j’emprunte au chanteur Pitcho (il ne m’en voudra pas j’espère) le titre de son nouveau CD.
Car à écouter les témoignages des ghanéens, aujourd’hui enfermés au centre de rétention (une sorte de 127 bis) de Bari, à 500 m de l’aéroport, c’est bien de cela qu’il s’est agi la semaine dernière, à Rosarno en Calabre.
Un centre que les autorités italiennes ont voulu bien gardé, puisque sa surveillance, derrière les barbelés et en plus de la police qui est à l’intérieur, est confiée au bataillon San Marco, un bataillons d’élite auquel il m’a semblé, de loin, qu’il n’était pas utile d’approcher de trop près. Des hommes armés, cagoulés et lunettes noires, armes au poing. Un tel déploiement s’explique sans doute autant par des raisons de message vers l’extérieur (musculation sécuritaire) que pour éviter les tentatives désespérées de protestation ou d’évasion.
Tout est d’ailleurs prévu : le matériel anti émeute est stocké dans l’entrée…
Nous avons conversé pendant quelques heures avec 4 hommes dont 3 ghanéens, qui ont été embarqués et « kidnappés » comme ils disent depuis Rosarno où ils travaillaient, vers ce centre fermé de Bari.
Accueillis par la direction de l’établissement, on nous a installés dans une salle d’alphabétisation et dont les murs sont tapissés d’affichette enfantine illustrant les mots courants en italien : assez étonnant et contradictoire dans la mesure où ce « centre » héberge comme ils les appellent en italien, des « ospiti » (littéralement, des hôtes) qui sont en fait des détenus, bien traités mais en cellule et privés de liberté, en attendant pour la plupart leur explusion.
Les témoignages sont assez accablants. D’abord sur les conditions de travail à Rosarno, pour la cueillette des oranges. Les africains (soyons clairs, les noirs) sont regroupés dans un seul bâtiment désaffecté où ils « vivent » (le mot ne convient modérément quand on a vu l’état du bâtiment, sans eau et électricité, et que les autorités italiennes envisagent d’abattre, maintenant qu’il a été vidé de ses « résidents »). Dison plutôt où ils passent le temps qui reste puisqu’ils travaillent de 5h du matin à 19h, à 1 euro la caisse d’orange soit environ 25 euros par jour. Pas de contrat bien sûr, que de l’oral, avec des hommes de paille : on ne voit jamais les patrons italiens. Il semble que déjà en 2008, il y ait eu des tirs et des injures racistes. La relation des événements de la semaine dernière est confuse. Aucun d’eux n’a vu ou entendu les tirs en question. La rumeur de 4 morts ou blessés s’est répandue et a semé la panique. Les seuls hommes noirs ont accepté de se laisser emmener par centaines dans des cars affrétés par la police pour les « protéger ». Il ont été dispatchés dans différents centres. Des centres ouverts pour ceux qui avaient un permis de séjour provisoire, mais la plupart d’entre eux n’y sont pas restés et se sont « volatilisés ». Des centres fermés avant expulsion pour ceux dont les documents de séjour avaient expiré. Il n’ont pas été payés pour leurs dernières prestations (un manque à gagner de 150 euros semble-t-il, ce qui est énorme quand on connait le tarif journalier…) et sont aujourd’hui sans aucune information quant à leur avenir proche.
Ils sont là, errent dans ce centre, séparés de leurs familles pour certains.
En attendant, à Rosarno, il est probable (et cela doit être vérifié) que la cueillette des oranges a repris, mais par des migrants « blancs » (ukrainiens, polonais, roumains, africains du nord) qui sans doute dérangent moins dans le paysage…
cliquez la séquence sur Rosarno dans le jt RTBF d’aujourd’hui http://www.rtbf.be/info/monde
Avec les quelques personnes de Migreurop qui nous avaient demandé notre présence parlementaire pour pouvoir entrer dans le Centre, et mes deux collègues du Parlement Européen, nous sommes ressorti de là pas très fiers…
Ces faits méritent absolument une enquête approfondie, y compris européenne, tant sur les conditions de travail de ces saisonniers que sur la discrimination à l’égard des migrants noirs de peau. Et si l’opération avait été organisée de toutes pièces, pour évacuer les blacks ? L’hypothèse n’est pas fondée mais je ne peux m’empêcher de l’évoquer…
Félicitations à Mme I. Durant pour cette mission risquée qui nous montre l’horreur en Europe…
L’agriculture productiviste et l’ultralibéralisme défendent des modes de production environnementalement et socialement intolérables.
Ces oranges « sanguines » portent en elles la souffrance de tous les paysans aujourd’hui « exploités » pour le bénéfice de quelques multinationales, l’agroalimentaire et de la grande distribution.
Rien de nouveau, vous me direz.
Si le système devient de plus en plus esclavagiste, en Europe aussi maintenant.
La grève du lait (et ses épandages de lait cru de qualité) menées par des milliers de paysans en Belgique et Europe n’a pu déstabiliser le système des marges de la filière, ni la dérégulation prônée par Fischer Boel. Bien que Dacian Ciolos, futur Commissaire donne un signe d’espoir, fruit de cette grève du lait.
Regardez la provenance de vos légumes et fruits (Espagne, Italie,…) lorsque vous faites vos achats (Bio ou pas c’est souvent la même provenance pour une question de prix d’achat) et préférez les achats chez le paysan producteur ou coopérative paysanne.
Pour approfondir cette mission de Mme Durant, regardez le film « El Ejido, la Loi du Profit ».
Merci
« L’agriculture productiviste et l’ultralibéralisme défendent des modes de production environnementalement et socialement intolérables. »
Oui, mais l’histoire se double, en Italie et spécialement en Calabre, de l’empreinte de la mafia.
A ce propos, l’article de Barbara Spinelli dans la Stampa (llà en français)
http://www.presseurop.eu/fr/content/article/166671-les-immigres-dernier-rempart-contre-la-mafia